Au terme d'un si long sommeil de presqu'un an, Ipgigénie s'éveille en douceur et non sans douleur. Elle hésite encore à tendre son visage et sa fille au soleil ou à demeurer dans la nuit, attendant l'inéluctable: la sortie de son bourreau et la perte de son enfant, qu'elle pense si proche...
Iphigénie va nous quitter, sa belle enfant sous le bras: elles vont nous quitter ensemble pour partir affronter la vie qui les attend.
Malgré l'investissement et le travail fourni, la sortie souhaitée ne sera pas celle que nous attendions tous, avec et auprès d'elle. La sortie sera chaotique, en attendant meilleure, faite de samu social et d'autres petites choses, pour atténuer le choc de la réalité qui les attend.
Dans ses larmes silencieuses, Iphigénie n'aura jamais été si belle: son regard s'est éclairé, son sourire est moins timide et dans la peur qui l'étreint face à l'avenir, elle redresse malgré tout ses épaules, pour elle et son enfant.
La protection juridique est en cours assurée par une avocate, juge aux affaires familiales et des enfants, un lieu protégé est en attente et nous continuerons, fait exceptionnel, à tenir un regard bienveillant durant les semaines à venir.
Malgré une attente déraisonnable, le constat est cruel: quelle protection pour toutes les Iphigénies d'aujourd'hui et demain?
Comment accompagner la culpabilité de ces femmes quand le système d'aide et ses manquements valident lui-même ce sentiment?
Iphigénie m'a touche, bouleversé car ses yeux tristes, son visage apathique et ses mots en disaient long sur son intelligence et sa sensibilité, dissimulant certainement d'autres douleurs antérieures qu'elle garde cachées en elle-même.
Iphigénie avec ses peurs, ses espoirs et cet amour impossible et destructeur n'était pas une pâle incarnation d'un romantisme désuet, d'une poésie surrannée où l'amour est plus fort que les normes sociales, transcendant la psychée dans une apothéose de sentiments douloureux.
Iphigénie n'est pas le symbole des violences subies par les femmes, ni celui de l'amour impossible. Elle est seulement Iphigénie, pétrie d'ambivalences, de sentiments contradictoires, de quête affective sans limite.
Iphigénie est belle et douloureuse, son port de tête est gracieux mais elle n'est pas un personnage fictif, décrit par de douces mélopées syntaxiques. Elle est vivante mais immobilisée par la peur de cet homme maléfique pour elle-même, par cet avenir si incertain qui se dessine.
Car même s'il est aisé de plaquer de jolis mots, de jolies images sur ce qu'inspire Iphigénie à mon imaginaire, il n'est souhaitable à personne de connaître son chemin: celui du passé et celui à venir. Il n'est souhaitable à personne de prétendre s'en identifier car cette possibilité ne relèverait que d'une juissance malsaine, d'une outrangeante impudeur.
Mais au delà de toute sa mélancolie, Iphigénie a atteint mon coeur de femme, elle m'a saisit, m'amenant à la rassurer, la protéger avec les armes juridiques dont je disposais.
Elle a réveillé en moi une conscience féministe que j'ignorais, bouleversant mes entretiens et mes repères, m'invitant sans cesse à être près d'elle et contre elle, pour mieux la réveiller et l'éveiller face à l'avenir.
Comme certains hommes avant elle et comme d'autres femmes après elle, elle m'a donné de ces choses qui font la différence dans ce métier, de cette inégalité d'investissement auquel aucun professionnel n'est exempt mais qui nous donne davantage que les effets limités de notre simple action sociale.
De ces choses que jamais elle ne saura, au prix de sa souffrance, de ces choses qui feront certainement de moi, une meilleure assistante sociale et une meilleure femme...