Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 janvier 2011 7 09 /01 /janvier /2011 22:12

 

Au terme d'un si long sommeil de presqu'un an, Ipgigénie s'éveille en douceur et non sans douleur. Elle hésite encore à tendre son visage et sa fille au soleil ou à demeurer dans la nuit, attendant l'inéluctable: la sortie de son bourreau et la perte de son enfant, qu'elle pense si proche...

 

Iphigénie va nous quitter, sa belle enfant sous le bras: elles vont nous quitter ensemble pour partir affronter la vie qui les attend.

Malgré l'investissement et le travail fourni, la sortie souhaitée ne sera pas celle que nous attendions tous, avec et auprès d'elle. La sortie sera chaotique, en attendant meilleure, faite de samu social et d'autres petites choses, pour atténuer le choc de la réalité qui les attend.

Dans ses larmes silencieuses, Iphigénie n'aura jamais été si belle: son regard s'est éclairé, son sourire est moins timide et dans la peur qui l'étreint face à l'avenir, elle redresse malgré tout ses épaules, pour elle et son enfant.

 

La protection juridique est en cours assurée par une avocate, juge aux affaires familiales et des enfants, un lieu protégé est en attente et nous continuerons, fait exceptionnel, à tenir un regard bienveillant durant les semaines à venir.

 

Malgré une attente déraisonnable, le constat est cruel: quelle protection pour toutes les Iphigénies d'aujourd'hui  et demain?

Comment accompagner la culpabilité de ces femmes quand le système  d'aide et ses manquements valident lui-même  ce sentiment?

 

Iphigénie m'a touche, bouleversé car ses yeux tristes, son visage apathique et ses mots en disaient long sur son intelligence et sa sensibilité, dissimulant certainement d'autres douleurs antérieures qu'elle garde cachées en elle-même.

Iphigénie avec ses peurs, ses espoirs et cet amour impossible et destructeur n'était pas une pâle incarnation d'un romantisme désuet, d'une poésie surrannée où l'amour est plus fort que les normes sociales, transcendant la psychée dans une apothéose de sentiments douloureux.

Iphigénie n'est pas le symbole des violences subies par les femmes, ni celui de l'amour impossible. Elle est seulement Iphigénie, pétrie d'ambivalences, de sentiments contradictoires, de quête affective sans limite.

 

Iphigénie est belle et douloureuse, son port de tête est gracieux mais elle n'est pas un personnage fictif, décrit par de douces mélopées syntaxiques. Elle est vivante mais immobilisée par la peur de cet homme maléfique pour elle-même, par cet avenir si incertain qui se dessine.

 

Car même s'il est aisé de plaquer de jolis mots, de jolies images sur ce qu'inspire Iphigénie à mon imaginaire, il n'est souhaitable à personne de connaître son chemin: celui du passé et celui à venir. Il n'est souhaitable à personne de prétendre s'en identifier car cette possibilité ne relèverait que d'une juissance malsaine, d'une outrangeante impudeur.

Mais au delà de toute sa mélancolie, Iphigénie a atteint mon coeur de femme, elle m'a saisit, m'amenant à la rassurer, la protéger avec les armes juridiques dont je disposais.

 

Elle a réveillé en moi une conscience féministe que j'ignorais, bouleversant mes entretiens et mes repères, m'invitant sans cesse à être près d'elle et contre elle, pour mieux la réveiller et l'éveiller face à l'avenir.

 

Comme certains hommes avant elle et comme d'autres femmes après elle, elle m'a donné de ces choses qui font la différence dans ce métier, de cette inégalité d'investissement auquel aucun professionnel n'est exempt mais qui nous donne davantage que les effets limités de notre simple action sociale. 

De ces choses que jamais elle ne saura, au prix de sa souffrance, de ces choses qui feront certainement de moi, une meilleure assistante sociale et une meilleure femme... 

Partager cet article
Repost0
12 décembre 2010 7 12 /12 /décembre /2010 23:07

Notre Iphigénie à nous, a accouché comme bien des femmes, normalement et sans heurts. Son ventre rond s'est relaché et son visage doux, mélancolique s'est éteint. Fermée, sa tristesse n'a pas laissé place à cette tendresse maternelle qui devrait l'envahir, au terme des premiers jours de vie de son enfant.

 

Sa tristesse n'a pas disparue mais l'emmène loin de tout et de son enfant. Cachée sous ses couvertures, elle ignore le jour qui se lève, ignore les pleurs de sa fille qui l'appelle. Elle ne se lève plus, ne se lave plus, ne veut plus rien entendre ni voir. Elle s'oublie, oublie son enfant, pense à lui, à ce besoin qui l'enferme, à cette lettre qu'elle veut lui écrire pour l'issue de cette grossesse, pour l'informer mais comment lui dire?

 

En mère qui s'abandonne, son bébé s'abandonne auprès de sa mère: elle apprend à se taire, à éviter le regard, à rester allongée près de sa maman sans bouger. Elle apprend, comme sa maman, à se cacher et se faire oublier.

Iphigénie a coupé le contact: elle ne réagit plus ou seulement de colère quand nous la réveillons trop fortement, quand nous la bousculons dans son échappée mélancolique.

 

Iphigénie est partie loin devant nous: nous tentons de la rattraper, pour les préserver elles deux, ensemble.

 

Plusieurs semaines s'écoulent. Auprès de moi, parmi d'autres, elle cherche le conseil: écrire or not écrire? Photo or not photo? Et parmi d'autres, ma réponse ne se fera pas, hormis celle de ses droits sans cesse que je rabâche: ses droits de victime, du juge qui lui est délégué, des dispositifs d'hébergement existants. Qu'en fait elle alors? Rien, elle entend, questionne mais sans cesse revient la même question: Où en est il? L'informer de la naissance, c'est revenir vers lui et confirmer, quelque part, ses sentiments qui perdurent malgré tout. Qu'importe les évènements passés, c'est son père.

Et les semaines qui passent nous effraient de la conclusion à venir, face à la souffrance de cette enfant auprès de cette maman, si peu à l'écoute des besoins de son enfant. Sans rejet, elle l'oublie seulement, verbalisant sans authenticité son attachement. Le bien-être de ce bébé est il avec sa mère? Nous l'alertons à plusieurs reprises, en douceur.

 

Au terme de quelques entretiens passés, d'une confiance accordée, une nouvelle fois elle se présente face à moi, le regard baissé, apathique.

Ma voix n'aura certainement jamais été aussi douce et confidentielle que ce jour-là. Je l'invite à s'exprimer, à mettre des mots sur ce silence qu'elle me présente, à ce rendez vous qu'elle honore mais qu'elle occupe de sa mélancolie.

Il est alors temps de dire la triste possibilité, celle d'être séparée de son bébé. Elle va mal, elles vont mal toutes les deux mais nous ne pouvons pas accepter qu'elle emmène son enfant si loin de cette vie qui l'attend. Elle ne comprend pas: tout va bien , elle est seulement triste mais elle aime son bébé et s'en occupe bien. Que répondre? Si ce n'est qu'elle sait que ce n'est pas vrai...Le  maudit mot  'placement" n'est pas dit mais il occupe l'espace de mon étroit bureau, il palpite dans ces longs silences et son regard. Elle a compris, c'est suffisant. Son bébé a bientôt deux mois, la sortie doit être envisagé et son réveil se précipiter...Nous nous reverrons à mon retour de vacances.

 

Retour de vacances: Iphigénie est en phase d'éveil. Son regard brille davantage, son visage s'est ouvert...Elle est en réaction: elle a eu peur;de mes mots, de ceux des autres, de la réalité à venir.

Et après me direz vous?L'éveil est il fugace ou annonce t il un changement à venir?

 

La tâche est rude, dense et bouscule ma pratique et mes connaissances juridiques. J'avance sur un terrain miné mais le risque est nécessaire: quelque chose de nouveau s'anime en elle et nous sommes curieux qu'elle nous dévoile un autre pan de son identité pour mieux préserver, toujours et encore, le lien de ce bébé avec sa maman.

 

Partager cet article
Repost0
12 décembre 2010 7 12 /12 /décembre /2010 23:02

Le visage d'une noire madone: les yeux tristes, le visage penché, apathique, le regard égaré. Dieu seul, mais il n'existe pas, de savoir à quoi elle songe, son beau ventre africain qui pointe au large, à un mètre de distance de la courbe de ses hanches...

 

Iphigénie est enceinte, porteuse de l'enfant de son bourreau, de l'homme qu'elle aime, de l'homme qui est en prison, par sa faute mais grace à elle. Elle est hospitalisée, baignant dans un profond coma psychique, plongée dans une apathie réelle, fuyant les représailles de la famille de son amour, s'égarant dans son ambivalence.

Elle a porté plainte. Il a pris cher: 4 ans, multi récidiviste qu'il était. Elle a fui son appartement, son quartier, elle a tout abandonné mais qu'a t elle vraiment laissé derrière elle, excepté cet homme? Il nous tardera d'avoir une réponse et nous l'attendons toujours.

Elle n'est pas mutique: sa voix est douce, à peine percéptible, enfermée dans sa chambre, se risquant seulement sur le trottoir plusieurs fois par jour pour fumer ses cigarettes. Quel sens au sevrage tabagique chez la femme enceinte dans ces conditions?? Y avons nous seulement songé, toutes soucieuses de mettre déjà du sens à cette violence vécue?

 

Elle se sent bien, à l'abri, dans un coton. Elle se sent bien, reviendra ici à l'arrivée de cet enfant non prévu, victime aussi de ses coups, de ses menaces, de la perversion, à 3 mois de grossesse.

Elle se sent bien, mon oeil!  Prostrée sous ses couvertures, élan vital ralenti, mots à peine audibles, elle est une ombre dans les couloirs, elle glisse, c'est à peine si nous l'entendons...

 

Officiellement, elle n'a plus d'appartement, elle est à la merci des services sociaux et de leur bon vouloir mais elle ne s'inquiète pas: son élan vital est ralenti, électro-encéphalogramme plat. Elle espère, après moi, que le nécessaire sera fait, elle attend tout simplement.

 

Mais qu'attend elle? Un signe de lui, bien entendu, lui qui lui a tant écrit, menaçant et cajoleur, mais que fait il? L'a t il oublié? Lui en veut il? Mais non il est dangereux, "il est fou" dit elle, "sans limites" mais quand même, cela n'est il pas allé trop loin, méritait- il la prison, sa famille à elle a t elle bien fait de la protéger?

Elle veut se protéger, protéger l'enfant à naître (c'est une fille) dit elle et connaitre l'évolution de sa peine. En réalité, elle veut savoir ce qu'il devient, avoir des nouvelles de lui par procuration car son silence du fond de sa cellule lui est insupportable, rendant ainsi plus supportable leur histoire.

Mais toute pleine de son ambivalence, elle ne peut pas se saisir de ses droits: faire appel au juge délégué aux victimes par la fameuse loi DATI. Elle ne peut pas, tiraillée par l'évidence, la réalité, les faits et cet élan émotionnel qui la hape vers lui. Elle imagine lui écrire, l'informer après la naissance que c'est une fille.

 

Elle imagine tant de choses mais le verbalisant si peu qu'elle en est touchante et désarmante.

Elle attend la naissance à venir, elle agira après, dit elle...Agira t elle? Que peut elle vraiment? Qu'allons nous bien pouvoir découvrir quand le séisme de la naissance va la recouvrir entièrement?

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de superAS
  • : C'est quoi? C'est désarmant,hilarant,bluffant,politiquement correct et incorrect,énervant,attristant,militant,épuisant,enrichissant.C'est une façon d'être avec la loi,la société, les gens pour ne pas faire du travail de cochon, tout simplement
  • Contact

Recherche