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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 20:51

Il a été l' Exception.

 

Il a bousculé mes codes, devenant mon ami, à l'encontre de toute règle et de ma propre gène, témoin et actrice embarrassée d'une relation qui ne peut pas et ne doit pas éclore mais que je désirais ardemment.

 

A 57 ans, il avait encore cette allure nonchalante, moulée dans ses éternelles veste en cuir dont la peau s'est pâtinée en 30 ans et qui révèle toute la beauté du vêtement. Il était beau, mince, paraissant 40 ans à peine, la peau noire et tannée, le trait fort et la voix rauque, 30 ans d'héroïne régulière sans laisser de stigmates. Sosie de Samuel L. Jackson dans "jackie Brown", seule la coupe afro lui faisait défaut.

Il était  éveillé à l'existence en permanence, sourire éternel et rire rocailleux, en simple spectateur d'un monde sur lequel il portait un regard aiguisé. La vie n'était que plaisir, la contrainte glissait mais n'accrochait jamais son esprit.

 

Il lui fallait un traitement, il lui fallait un numéro de sécu: on lui a donné une assistante sociale et il ne l'a jamais rendue.

 

Les premières fois, j'ai douté de son psychisme ou de sa bonne foi:  son arrivée en France en 1969, son militantisme d'extrème gauche évoluant près d'Action Directe, de l'héroïne partagée avec ses potes du show bizz, de ses films tournés, de sa carte de résident confisqué en 1975 et plus rien depuis, de sa femme, de sa fille, de leur appart' dans les beaux quartiers.

Son éternel optimisme bousculait mes repères: 30 ans  sans statut, ni sécurité sociale, sans ressources ni passeport, point d'identité, j'étais troublée, définitivement propulsée sur une autre planète.

 

Le chantier était immense, un défi administratif quand lui s'en foutait, résumant son détachement  en une phrase éclairée "je n'ai jamais eu besoin, ma vie a toujours roulé sans toutes ces démarches." Mais il venait, jamais ponctuel mais demandant après moi et j'adoptais "le laisser-faire, laisser-aller", persuadée que ma volonté entamerait jour après jour son rapport à la réalité. Des heures à discuter quand rien n'avancait malgré ses engagements oraux successifs, sans voir un document officiel, de longues minutes à regarder ses photos jaunies et le reconnaître, en coupe afro et patt d'eph'  et même veste en cuir. Par le plaisir passera la contrainte, me disais-je, luttant pour ne pas céder au découragement et lui laisser toujours notre espace, malgré l'enchainement du quotidien et de ses besoins.

 

Un an de palabres sous son soleil sénégalais  avant qu'un nuage se pointe et nous permette de prendre la route.

Il a rafraichi l'atmosphère en évoquant le handicap de sa femme, hémiplégique après 2 AVC, reconnue AAH, avec une tendance alcoolique et leur fille, française par la mère, qui "s'est durci avec les deux fous de parents qu'elle a eu". Ce mince filet d'air est une invitation pour moi, dans la faille qu'il dévoile: point de papier et c'est l'équilibre précaire de la famille qui est en jeu; que feraient-elles alors sans lui?

Son visage s'assombrit d'une émotion grave qui obscurcit ses traits, un temps de lucidité transparente face à une réalité qu'il peinait à élaborer.

Dès lors, il ne viendrait plus les poches vides mais avec des sacs remplis de documents datant de 20 ans et peu à peu, nous recousons les fils de sa vie en France cassés depuis 3 décennies. Il fait jouer ses relations pour obtenir son acte de naissance et d'accompagnement en accompagnement, il obtient enfin son passeport qui atteste de son identité. Il le feuillette,fébrile et éberlué, durant les 30 minutes de transport, le tenant fièrement à la main et moi, paniquée qu' un voleur à la tire passe par là.

Il a obtenu le 1er sésame qui pouvait lui faire espérer le saint Graal: un titre de séjour.

 

Passons les détails de sa situation juridique mais il n'est plus éligible au plein droit: sa fille, française est majeure, il n'est pas marié ni pacsé, il n'apparait nulle part, ni dans les fichiers judiciaires, ni sur le bail du logement HLM qu'il partage savec sa compagne.

Autant dire, en ces temps de disette préfectorale, c'est pas gagné.

 

-"Depuis 1975? Et vous venez en 2005?! mais vous avez fait quoi pendant 30 ans?

-"je ne sais pas. je devais être ailleurs."

 

Regard éberlué de l'agent préfecture, ses yeux en aller-retour du passeport vers lui puis un sourire.

-"Mais les gens sont à peine descendus de l'avion qu'ils sont déjà ici ...alors 30 ans....jamais vu ça."

 

Elle s'éclipse, revient, prend les informations et déjà, j'entrevois les coups d'oeil de ses collègues et je jubile intérieurement car pour une fois, l'indifférence n'est pas de mise ce jour là, à la préfecture.

Elle confirme: il a quelques années de retard pour obtenir un titre mais bon...prouvez la vie conjuguale et on examinera. Voici la convocation, quand même et les papiers à apporter.

Et on repart, alignant les démarches à effectuer, les attestations sur l'honneur à obtenir, les attestations toutes courtes.

J'ai transpiré, lui pas beaucoup, à m'offrir des cafés entre deux accompagnements et une visite à leur domicile, adoré son chien avec ses habitudes d'être humain,  admiré sa femme, ses gestes maladroits et sa bienveillance à lui, vieux brigand sorti d'un film de série Z et leur fille, dissimulant son ventre de grossesse pour ne pas heurter sa mère.

 

Dans le jargon, on a blindé, surblindé son dossier si mince, avec des bouts de ficelle obtenus à droite et à gauche.

Le jour dit, j'étais tremblante car porteuse de si peu d'arguments mais convaincue de la bonne foi de cette sorte d'énergumène qu'on ne rencontre qu'une fois. Il était relax quand je n'en pouvais plus d'attendre. Elle était là, aussi, appuyée de sa canne, 40 kg à peine, me narrant elle aussi ses copains si prospères  naguères et déchus, aujourd'hui.

 

Il a obtenu son récepissé, sa carte et tout le tralala dans la foulée, à l'exception du RMI qu'il n'a jamais voulu.

 

On est allé manger des moules chez Leon de Bruxelle pour fêter ça et on est allé mangé ailleurs, bien après ça. On est allé au théâtre, au cinéma pour rencontrer ses amis du spectacle, bu d'innombrables cafés sur mes temps libres en me racontant son histoire, de son enfance à aujourd'hui, d'un parcours engagé dans la vie et hors la vie, d'anedoctes fabuleuses et livresques que j' ai voulu en faire un film. Je l'ai regardé  déplorer les morts autour de lui année après année et s'étonner d'être encore là, lui qui avait tant griller ses artères. 

 

Il est entré dans la réalité sans s'oublier ni m'oublier, éternel reconnaissant de "lui avoir rendu son existence".

Je suis entrée dans la sienne sans m'oublier ni l'oublier, bercée par sa poésie et son sens aigue de la vie.

 

 

 

 

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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 22:53

Il avait 38 ans la 1ère fois et 42, pour la der des ders.

 Les cheveux hirsutes, la peau décolorée par l'abus de substances en tout genre, des dents à la couleur indéfinissable, le verbe haut assénant des "connasses" et des "putains" au détour de chacune de ses colères, je l'aimais quand même.

On s'est baladé à deux dans les rues, écumant les hôtels meublés sordides et les hôpitaux de l'assistance publique, de la psychiatrie en pneumologie, de service infectieux en cure de désintox', alignant les billets de 5 à 20€ au dessus de mon bureau, le soutenant de mes bras quand il était au plus mal, incapable de monter les marches du métro, pestant contre sa douleur, le corps gorgé d'eau.

Ses moments de lucidité me bouleversaient, Ses colères me faisaient sourire.

 

Pour lui et pour moi, j'a laissé un marchand de sommeil bien dégueulasse me toucher la cuisse et m'offrir un café, pour lui obtenir une chambre insalubre à 600€ par mois, les souris et les cafards en prime.

Pour lui et pour moi, j'ai fait exploser le budget de la Caisse sociale, item "fond de soutien" quand il cramait son RMI en cannabis à la laverie du quartier.

Pour lui et pour moi, j'ai géré son budget, détenu sa carte bancaire, dit"oui" dit "non".

POur lui et pour moi, je me suis écrasée bien souvent pour nous protéger.

Pour lui et pour moi, j'ai demandé l'annulation d'un jugement pour "menaces à agent" quand défoncé, il s'est fait sortir des Urgences en insultant de "sale pute, vas te faire...." la gardienne de la paix présente ce soir-là.

Pour lui et pour moi, on a recherché son python, échappé de son appartement.

Pour lui et pour moi, je lui ai pardonné, quand la mine basse et des regrets dans la voix, il est venu s'excuser, petit garçon, après m'avoir invité "à me faire enculer" par téléphone avant de raccrocher.

Pour lui et pour moi, j'ai dis merde à mes collègues et à leur refus de le soigner, malgré sa douleur pour une nécrose osseuse.

Pour lui et pour moi, il est allé ailleurs se faire soigner pour se faire opérer.

Pour lui et pour moi, j'ai détesté mes collègues apeurés devant sa mine grise, toxico déjà vieillissant, cachées derrière un diagnostic de "schizophrènie paranoïde".

Pour lui et pour moi, j'ai écouté ses exploits d'ancien braqueur, fiché au grand banditisme

Pour lui et pour moi, il pouvait attendre une heure

Pour lui et pour moi, je l'ai écouté insulter sa mère et Sarkozy.

Pour lui et pour moi, je ne l'ai pas arrêté, je ne l'ai pas démenti.

Pour lui et pour moi, j'ai explosé mes statistiques d'activités, mon tarif horaire.

Pour lui et pour moi, je n'ai jamais renoncé.

Pour lui et pour moi, il ne m'a jamais remercié.

Pour lui et pour moi, il me souhaitait de bonnes vacances

Pour lui et pour moi, je lui souhaitais bonne chance.

Pour lui et pour moi, je n'ai jamais baissé les yeux.

Pour lui et pour moi, il ne m'a jamais supplié, d'un billet ou d'une minute à lui consacrer.

Pour lui et pour moi, je ne songeais pas aux lendemains.

Pour lui et pour moi, il n'arrivait plus à bander.

Pour lui et pour moi, j'étais fatiguée de le voir 

POur lui et pour moi, j'étais préoccupée de ne plus l'apercevoir

Pour lui et pour moi, je lui aurais bien fait voir  la mer

Pour lui et pour moi, je l'aurais bien pris dans mes bras

Pour lui et pour moi, il m'a remis son trésor de pièces anciennes  dans un pot de miel

Pour lui et pour moi, il a dit merde au crack, au valium ect,ect..

Pour lui et pour moi, il a eu son logement social

Pour lui et pour moi, il a payé son loyer, installé sa chaine HiFi

Pour lui et pour moi, c'est à peine si il y a dormi

Pour lui et pour moi, on s'est quitté sur un cancer foudroyant 

Pour lui et pour moi, il m'a souhaité une dernière fois de bonnes vacances.

Pour lui et pour moi, j'ai serré  de ma main son bras, son poignet.

Pour lui et pour moi, je n'y croyais déjà plus

Pour lui et pour moi, il est parti sans le savoir, la bouche légèrement ouverte

Pour lui et pour moi, il est parti, seul 

Pour lui, j'ai écouté sa soeur, sa mère

Pour moi, j'ai accueillie leur douleur et leur ignorance

Pour lui, j'ai tenté de comprendre ses mensonges, sa mère morte

Pour moi, quelques chose s'est éteint, défintivement, dans ce boulot qui m'étreint.

 

Pour lui et pour moi, j'ai une tendresse particulière, inaccessible, un bout de territoire inexploré par quiconque.

J'ai un visage en moi.

 

 

 

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12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 20:25

Dans mes souvenirs, c'était une vaste salle, chacun son fauteuil collé aux murs, à une distance respectable de son voisin. Au centre une table basse minuscule, des litographies africaine 19,99€ pièce, deux ou trois bibelots Maison du Monde, un effort sur la déco pour calfeutrer l'atmosphère  électrique dans cette salle surchauffée: on ouvre les fenêtres, trop de bruit, on ne s'entend plus. On ferme et soudainement, un silence de plomb, géné, les regards à terre. La possibilité de se parler devient trop angoissante.

 

Le chef de service, polo Ralph lauren et pantalon à pinces, nettoie ses chaussures depuis 10 minutes, mèche bien peigné et regard plissé sur le cuir luisant, absent de la voix monocorde et dénuée d'affect de sa confrère: "Elle souffre d'une carence affective grave associée à un trouble abandonnique majeur." Silence. Du regard, la femme qui vient de s'exprimer, col Claudine et dentelles ajourées, cherche l'assentiment, sans succès. "Quand à la problématique familiale on est en droit de l'interroger tout comme sa responsablité sur l'agression sexuelle collective qu'elle a connu".

Réveil brusque de quelques membres de l'assemblée par des échanges de regards furtifs, chacun tentant de trouver chez l'autre la confirmation du sens de ce qu'il vient d'entendre. Mais le silence demeure, plus lourd et plus défiant, sur cette chose molle, enrubannée de rose des pieds à la tête, en cours de validation de son titre de psychiatre.

Le polo Ralph lauren a cessé de frotter ses mocassins et regarde le mur devant lui, les traits crispés: il réfléchit; aux nouveaux appels à projet, à son RDV d'avec le Professeur F, à l'admiration dans le regard des parents d'une Boîte à Bac du 7ème lorsqu'il brillera sur la scène de l'amphi le soir même, à sa liaison extra-conjuguale, au prochain stylo qu'il va s'offrir (en platine?en noyer?), à sa partie de golf du week end avec le Dr G. Les douces mélopées de sa collègue l'encourage à s'évader, comme une jolie berceuse qu'il aime  écouter.

Quant au 3ème membre du serment d' Hyppocrate présent dans la pièce,  tout va bien. Il s'est endormi un peu plus tôt que d'habitude. 

Dans ce silence tonitruant où chacun siffle son café tiède, la stagiaire, seul élément animé des locaux, apparait à la porte.

Jean-Marc est en bas, mal en point.

Le gros bonbon rose persifle, les lèvres fines "On est fermé. Qui lui a ouvert?" cherchant encore du regard l'appui de ses collègues, les yeux brillants.

La stagiaire se justifie maladroitement. Le couperet tombe de la bouche Claudine"Et bien, qu'il attende."

La stagiaire disparait derrière la porte et la sucette rose devient cramoisie, osant un éclat d'impatience derrière son visage de cire "C'est pas possible les stagiaires qui ouvrent la porte. C'est vraiment n'importe quoi, on est mal d'un point de vue de la responsabilité".

Bruits de fesses et de jambes qu se croisent et se décroisent: la gêne devient grandissante: nous n'avons pas tous la même définition du n'importe quoi, visiblement. La stagiaire réapparaît, le teint blème: elle insiste. La chargée d'accueil, psychologue de formation, descend, trop heureuse d'échapper à ce four de ressentiments. L'infirmier, à mi-temps pour problème de dos, reste sur sa chaise. Et la perle nacrée reprend du service.

"Alors, j'en étais où....oui donc j'ai tenté de voir la maman  qui est très soucieuse de sa fille, très inquiète mais qui manifesement a un problème d'alcool depuis qu'elle a perdu son travail..."

 

La porte s'ouvre: apparemment, ca urge, il faudrait du renfort. Personne ne bronche: ni l'infirmier qui a mal à dos, ni le subterfuge " Martine fait de la psychiatrie mais est d'abord généraliste". Super éduc et SuperAs se consultent du regard et se lèvent ensemble pour aller voir ce qui se passe, en bas. 

 

Jean-Marc, le visage blafard, les cheveux en bataille est affalé sur une chaise et mange péniblement un sandwich. Il tient sa demi-baguette  d'une main, les morceaux de tomate tombant à terre et une minute se déroule avant que le pain n'atteigne sa bouche, enre chaque levée de coude et mastication. Le bougre est alcoolique, ex toxico, mais quand même...La stagiaire, blème, tente de le tenir éveillé en lui parlant, lui propose un café: rien n'y fait.

On l'interroge, le questionne mais il s'enfonce progressivement. On distingue seulement des reliquats blanchâtres au coin des lèvres: celui-là est en train de faire une OD (overdose). Il est tend d'aller réveiller les méduses du haut qui joue du bulbe. Ca tarde, personne ne vient. Jean-Marc est en train de nous lâcher, c'est pas possible.

La Barbe à papa débarque, de son pas guindé, les bras croisés et les dossiers sur la poitrine. Elle approche,  penche son buste de son mètre 50 sur le corps allongé de tout son long et affirme, simple regard d'auscultation: "Ah oui, il est mal, il est très mal..." On hésite à lui proposer de palper son poul ou de regarder ses pupilles, on hésite mais ce serait en vain car celle-çi ne pose jamais la main sur un patient. Elle ne les touche que du regard. 

"Je dis à F., l'infirmier de descendre pour qu'il appelle les pompiers. Moi, je retourne en réunion."

L'infirmier clauqui-clauquant descend péniblement. Il s'interroge: les pompiers, le Samu...Ce sera le Samu qui débarque à toute zingue. L'infirmier paralysé s'y perd dans les traitements qu'il a pu prendre, dans les doses...Combien de traitements avait il dans la poche? Le Samu entube le jean-marc in extremis et l'embarque.

 

Au rez de chaussée, le silence est d'émotion. Au 1er étage, il est de plomb.

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