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22 septembre 2011 4 22 /09 /septembre /2011 18:37

Le passé, quel qu'en soit sa tonalité, a souvent des contrastes réjouissants, patinant la rugosité du présent et la douleur de l'instant. J'aime le passé car qui n'appartient qu'à nous-même, cuisine intérieure où l'on est libre d'évoluer ou non à son envie: pas de meubles encombrants, d'angles morts, de place trop étroite ou de plan trop mince qui embarrasse le quotidien. Le passé peut se construire sur mesure, lorsqu'il s'inscrit dans l'avenir.

Mais trop souvent, l'instant présent devient un gouffre sans fin où la plainte résonne contre les parois, écho se répétant encore et encore, sans destination définie, chacun d'entre nous s'encombrant d'une cuisine trop étroite ou trop large, insalubre ou sombre  et où l'ampleur de la réfection annihile tout désir d'une nouvelle architecture.

J'aime me souvenir, libre de parer le passé de tenues bariolées ou gothiques, réinventant sans cesse la réalité passée selon mon humeur, esquivant mes erreurs et celles des autres, rhabillant le tout à ma convenance.

Car quand l'ingratitude du présent devient tel, quand mon imagination se retrouve appauvrie par l'avenir abrutissant que je dois défendre pour les femmes et leurs bébés, quand l'énergie me quitte, le passé devient un rêve que j'écris à ma mesure, sans contraintes ni ordre établi, porté par la plénitude du Stilnox.

Plus de médiocrité, ni la mienne ni celles des autres, plus de chagrins non consolés, de légèreté abrutissante, d'instants plombés et plombants, de frustration exacerbée. Les yeux dans le passé, plus rien ne préexiste que la vague de fond faite de douceur et le plaisir mais malmenée quand même par des courants de douleur et qui rendent aveugles, au présent, forcément et toujours au présent.

Au ton du passé, il n'y a plus de guerres sourdes, d'émotions non digérées, de torpeur et de douleur. Il n'y a plus de territoire à sauvegarder, de place à conserver, de légitimité à gagner. Il n'y a plus cette saveur de l'effort, âcre et pâteuse dont on aimerait se défaire mais qui colle à la peau et aux narines parce que sans, on ne peut rien faire.

Au goût du présent mais le regard derrière, on savoure seulement le plan sur mesure que l'on se bâtit peu à peu qui élargit la perspective et apporte de la lumière.

Et quand parfois, au présent mais regard sur mes chaussures, ma voix voudrait malgré moi résonner en écho dans ce gouffre sans fond pour  ricocher contre celles des autres, seul le silence me prend. Car pétrie de contrariétés, je le suis, jonglant entre le plaisir orgasmique d'un travail fait à l'abri des regards et des contre-regards, lové dans une discrétion volontaire inapparente, et le besoin d'hurler une bonne fois pour couvrir le tumulte des autres. Juste pour jouir d'un silence salutaire qui ferait le dos rond au présent et se tournerait vers l'avenir.

Ma voix se fait muette, à peine capable de quelques filets aigus que je peine à émettre. Au présent, le tumulte est plus fort que moi, grandissant un peu plus chaque jour, assourdissant mes oreilles et mon esprit, asséchant mon moteur et mon plaisir. Incapable de tenir la distance nécessaire de sécurité, incapable de me taire et de parler quand cela s'avère nécessaire, je suis emmenée à contre-courant vers une terre qui n'est pas la mienne.

 

Au ton du passé, il y a toujours le maquillage factice et le souvenir doux-amer du moment.

Au goût du présent, il y a la violence et les lucarnes obscures d'un quotidien sans cesse éphémère.

Entre les deux, il y a seulement quelques intermèdes imparfaits, toile d'araignée fragile qui se tisse à l'abri des apparences, des mots, des éclats et des silences et s'agrandit, invisible, au plafond  de la cuisine.

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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 20:51

Il a été l' Exception.

 

Il a bousculé mes codes, devenant mon ami, à l'encontre de toute règle et de ma propre gène, témoin et actrice embarrassée d'une relation qui ne peut pas et ne doit pas éclore mais que je désirais ardemment.

 

A 57 ans, il avait encore cette allure nonchalante, moulée dans ses éternelles veste en cuir dont la peau s'est pâtinée en 30 ans et qui révèle toute la beauté du vêtement. Il était beau, mince, paraissant 40 ans à peine, la peau noire et tannée, le trait fort et la voix rauque, 30 ans d'héroïne régulière sans laisser de stigmates. Sosie de Samuel L. Jackson dans "jackie Brown", seule la coupe afro lui faisait défaut.

Il était  éveillé à l'existence en permanence, sourire éternel et rire rocailleux, en simple spectateur d'un monde sur lequel il portait un regard aiguisé. La vie n'était que plaisir, la contrainte glissait mais n'accrochait jamais son esprit.

 

Il lui fallait un traitement, il lui fallait un numéro de sécu: on lui a donné une assistante sociale et il ne l'a jamais rendue.

 

Les premières fois, j'ai douté de son psychisme ou de sa bonne foi:  son arrivée en France en 1969, son militantisme d'extrème gauche évoluant près d'Action Directe, de l'héroïne partagée avec ses potes du show bizz, de ses films tournés, de sa carte de résident confisqué en 1975 et plus rien depuis, de sa femme, de sa fille, de leur appart' dans les beaux quartiers.

Son éternel optimisme bousculait mes repères: 30 ans  sans statut, ni sécurité sociale, sans ressources ni passeport, point d'identité, j'étais troublée, définitivement propulsée sur une autre planète.

 

Le chantier était immense, un défi administratif quand lui s'en foutait, résumant son détachement  en une phrase éclairée "je n'ai jamais eu besoin, ma vie a toujours roulé sans toutes ces démarches." Mais il venait, jamais ponctuel mais demandant après moi et j'adoptais "le laisser-faire, laisser-aller", persuadée que ma volonté entamerait jour après jour son rapport à la réalité. Des heures à discuter quand rien n'avancait malgré ses engagements oraux successifs, sans voir un document officiel, de longues minutes à regarder ses photos jaunies et le reconnaître, en coupe afro et patt d'eph'  et même veste en cuir. Par le plaisir passera la contrainte, me disais-je, luttant pour ne pas céder au découragement et lui laisser toujours notre espace, malgré l'enchainement du quotidien et de ses besoins.

 

Un an de palabres sous son soleil sénégalais  avant qu'un nuage se pointe et nous permette de prendre la route.

Il a rafraichi l'atmosphère en évoquant le handicap de sa femme, hémiplégique après 2 AVC, reconnue AAH, avec une tendance alcoolique et leur fille, française par la mère, qui "s'est durci avec les deux fous de parents qu'elle a eu". Ce mince filet d'air est une invitation pour moi, dans la faille qu'il dévoile: point de papier et c'est l'équilibre précaire de la famille qui est en jeu; que feraient-elles alors sans lui?

Son visage s'assombrit d'une émotion grave qui obscurcit ses traits, un temps de lucidité transparente face à une réalité qu'il peinait à élaborer.

Dès lors, il ne viendrait plus les poches vides mais avec des sacs remplis de documents datant de 20 ans et peu à peu, nous recousons les fils de sa vie en France cassés depuis 3 décennies. Il fait jouer ses relations pour obtenir son acte de naissance et d'accompagnement en accompagnement, il obtient enfin son passeport qui atteste de son identité. Il le feuillette,fébrile et éberlué, durant les 30 minutes de transport, le tenant fièrement à la main et moi, paniquée qu' un voleur à la tire passe par là.

Il a obtenu le 1er sésame qui pouvait lui faire espérer le saint Graal: un titre de séjour.

 

Passons les détails de sa situation juridique mais il n'est plus éligible au plein droit: sa fille, française est majeure, il n'est pas marié ni pacsé, il n'apparait nulle part, ni dans les fichiers judiciaires, ni sur le bail du logement HLM qu'il partage savec sa compagne.

Autant dire, en ces temps de disette préfectorale, c'est pas gagné.

 

-"Depuis 1975? Et vous venez en 2005?! mais vous avez fait quoi pendant 30 ans?

-"je ne sais pas. je devais être ailleurs."

 

Regard éberlué de l'agent préfecture, ses yeux en aller-retour du passeport vers lui puis un sourire.

-"Mais les gens sont à peine descendus de l'avion qu'ils sont déjà ici ...alors 30 ans....jamais vu ça."

 

Elle s'éclipse, revient, prend les informations et déjà, j'entrevois les coups d'oeil de ses collègues et je jubile intérieurement car pour une fois, l'indifférence n'est pas de mise ce jour là, à la préfecture.

Elle confirme: il a quelques années de retard pour obtenir un titre mais bon...prouvez la vie conjuguale et on examinera. Voici la convocation, quand même et les papiers à apporter.

Et on repart, alignant les démarches à effectuer, les attestations sur l'honneur à obtenir, les attestations toutes courtes.

J'ai transpiré, lui pas beaucoup, à m'offrir des cafés entre deux accompagnements et une visite à leur domicile, adoré son chien avec ses habitudes d'être humain,  admiré sa femme, ses gestes maladroits et sa bienveillance à lui, vieux brigand sorti d'un film de série Z et leur fille, dissimulant son ventre de grossesse pour ne pas heurter sa mère.

 

Dans le jargon, on a blindé, surblindé son dossier si mince, avec des bouts de ficelle obtenus à droite et à gauche.

Le jour dit, j'étais tremblante car porteuse de si peu d'arguments mais convaincue de la bonne foi de cette sorte d'énergumène qu'on ne rencontre qu'une fois. Il était relax quand je n'en pouvais plus d'attendre. Elle était là, aussi, appuyée de sa canne, 40 kg à peine, me narrant elle aussi ses copains si prospères  naguères et déchus, aujourd'hui.

 

Il a obtenu son récepissé, sa carte et tout le tralala dans la foulée, à l'exception du RMI qu'il n'a jamais voulu.

 

On est allé manger des moules chez Leon de Bruxelle pour fêter ça et on est allé mangé ailleurs, bien après ça. On est allé au théâtre, au cinéma pour rencontrer ses amis du spectacle, bu d'innombrables cafés sur mes temps libres en me racontant son histoire, de son enfance à aujourd'hui, d'un parcours engagé dans la vie et hors la vie, d'anedoctes fabuleuses et livresques que j' ai voulu en faire un film. Je l'ai regardé  déplorer les morts autour de lui année après année et s'étonner d'être encore là, lui qui avait tant griller ses artères. 

 

Il est entré dans la réalité sans s'oublier ni m'oublier, éternel reconnaissant de "lui avoir rendu son existence".

Je suis entrée dans la sienne sans m'oublier ni l'oublier, bercée par sa poésie et son sens aigue de la vie.

 

 

 

 

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7 septembre 2011 3 07 /09 /septembre /2011 22:25

L'ovale parfait de ses yeux, la paupière un peu lourde, le visage rond qui dissimule une ossature prononcée, son teint d'ébène, elle ressemble déjà à celles qui se sont déjà s'échouées dans le fauteuil matelassé ou de celles qui n'ont pas encore osées monter dans l'avion, visa touristique en poche.

Et bizarrement, malgré cette saveur si familière qu'elle me procure parfois des hauts le coeur, j'aime déjà la douceur de son regard.

Elle entre, timide et respectueuse, soucieuse du jour et de l'heure de ce premier rendez-vous.Elle est sage, élève raisonnable, attendant que je commence cette rencontre. Je connais peu de choses mais je sais l'essentiel: les mains liées, j'aurais les mains liées pour lui donner du rêve éveillé, taillé dans la réalité.

Passons les premiers usages, les premières questions/réponses qui  confirme mon entrée de jeu. Camerounaise, débarquée il y a deux ans à Roissy de son village natal, amoureuse d'un compatriote étudiant en France, elle a saisi sa chance avec sa cousine parce que les yeux brillants encore de son rêve, le mot intimidé, elle en rêvait de la France, avoue t-elle.

Passons, passons..Elle n'a pas d'argent, pas de papiers, elle a voulu un enfant et elle ne l'a pas cru, lui son fiancé, qui lui répétait sans cesse que c'était de la folie d'être parent dans ces conditions. Un simple visa étudiant pour lui, une chambre universitaire, rien pour elle, comment allaient ils faire?

"Sur les photos, il était bien habillé, il menait la grande vie". Elle n'est pas naïve, elle ne manque pas de culture, celle-ci a l'intelligence de la simplicité.

Et face aux difficultés qu'il lui présente, elle se met en colère: paroles, paroles et mensonges pense t-elle quand celui là a l'intelligence de l'étudiant étranger qui galère.

Passons, passons, il est temps de revenir à l'essentiel, à ce rêve de la France qui la berce...

Et d'ailleurs, qu'en est-il de ce rêve, après deux ans de galère et une fausse couche tardive?

Elle baisse les yeux, hoche la tête pour avouer qu'elle ne rêve plus. Mais lui, il pourrait l'aider avec son Master 2 en poche. Il cherche un travail mais ne trouve pas. Parole, paroles encore et toujours dit-elle  car "quand on a fini ses études, on peut travailler, non?" Il reconnaîtra cet enfant, il est présent mais ne veut pas d'elle, croit elle.

Quand elle pêche par son inexpérience, lui brille à mes yeux car, à travers ces mots qu'elle me répète, je comprends qu'il a tout compris. Et je lui dis. Elle s'étonne de ma réaction.

Nous allons enfin pouvoir commencer ce qui préocuppe mon esprit depuis son entrée.

Elle n'a jamais demandé de titre de séjour. Elle ne connait pas les modalités, on ne lui aurait jamais expliqué.

Voudrait-elle que je lui explique?

Réponse affirmative. Et parce que je sais que je vais devoir tailler dans la roche du désir de cette femme enceinte de 6 mois, le haut le coeur se manifeste dans ma gorge toute entière. Alors je formule doucement, en mots que j'espère les plus simples, les grandes lignes du Code des étrangers et de ses modalités.

Je vulgarise ce truc devenu indigeste mais que je maitrise pour cette femme à l'histoire si commune.

Elle comprend, elle saisit l'essentiel où trois possibilités s'offrent à elle:  rester et souffrir, partir et souffrir, frauder et souffrir. Elle n'est pas malade, le père est camerounais, visa étudiant bientôt expiré, sans emploi, il sera aussi en situation irrégulière.

La main sur la bouche, elle avoue "il avait raison. Le pauvre, je l'ai traité de menteur et il disait la vérité".

Mais que j'évoque  10 ans d'attente pour demander un hypothétique titre de séjour et ses yeux s'écarquillent et s'atttristent.

Je me fais l'effet d'un rouleau compresseur, porteuse d'un discours juridique que je ne valide pas humainement mais que doit lui dire ma conscience, malgré moi. Et les portes qui se fermeront devant elle, l'attente pour ne jamais être reçu entretenant un vain espoir et la galère pour elle et son bébé...J'aligne à boulets rouges, convaincue que dire la vérité c'est être citoyen avant tout et professionnel après.

Elle a compris. Dans ce mélodrame contemporain et qui nous lie à l'afrique d'aujourd'hui, elle a saisi. J'ai la voix enrouée d'avoir trop parlé, elle a les yeux tristes d'avoir trop bien pigée.

Elle va réfléchir et on se reverra, malgré tout, pour en reparler ensemble. J'ai la tête lourde et bourdonnante, relents d'un discours que je prononce mais ne supporte pas. Elle est abattue, me dis-je mais voilà bien l'essentiel et ce, malgré moi.

 

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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 22:53

Il avait 38 ans la 1ère fois et 42, pour la der des ders.

 Les cheveux hirsutes, la peau décolorée par l'abus de substances en tout genre, des dents à la couleur indéfinissable, le verbe haut assénant des "connasses" et des "putains" au détour de chacune de ses colères, je l'aimais quand même.

On s'est baladé à deux dans les rues, écumant les hôtels meublés sordides et les hôpitaux de l'assistance publique, de la psychiatrie en pneumologie, de service infectieux en cure de désintox', alignant les billets de 5 à 20€ au dessus de mon bureau, le soutenant de mes bras quand il était au plus mal, incapable de monter les marches du métro, pestant contre sa douleur, le corps gorgé d'eau.

Ses moments de lucidité me bouleversaient, Ses colères me faisaient sourire.

 

Pour lui et pour moi, j'a laissé un marchand de sommeil bien dégueulasse me toucher la cuisse et m'offrir un café, pour lui obtenir une chambre insalubre à 600€ par mois, les souris et les cafards en prime.

Pour lui et pour moi, j'ai fait exploser le budget de la Caisse sociale, item "fond de soutien" quand il cramait son RMI en cannabis à la laverie du quartier.

Pour lui et pour moi, j'ai géré son budget, détenu sa carte bancaire, dit"oui" dit "non".

POur lui et pour moi, je me suis écrasée bien souvent pour nous protéger.

Pour lui et pour moi, j'ai demandé l'annulation d'un jugement pour "menaces à agent" quand défoncé, il s'est fait sortir des Urgences en insultant de "sale pute, vas te faire...." la gardienne de la paix présente ce soir-là.

Pour lui et pour moi, on a recherché son python, échappé de son appartement.

Pour lui et pour moi, je lui ai pardonné, quand la mine basse et des regrets dans la voix, il est venu s'excuser, petit garçon, après m'avoir invité "à me faire enculer" par téléphone avant de raccrocher.

Pour lui et pour moi, j'ai dis merde à mes collègues et à leur refus de le soigner, malgré sa douleur pour une nécrose osseuse.

Pour lui et pour moi, il est allé ailleurs se faire soigner pour se faire opérer.

Pour lui et pour moi, j'ai détesté mes collègues apeurés devant sa mine grise, toxico déjà vieillissant, cachées derrière un diagnostic de "schizophrènie paranoïde".

Pour lui et pour moi, j'ai écouté ses exploits d'ancien braqueur, fiché au grand banditisme

Pour lui et pour moi, il pouvait attendre une heure

Pour lui et pour moi, je l'ai écouté insulter sa mère et Sarkozy.

Pour lui et pour moi, je ne l'ai pas arrêté, je ne l'ai pas démenti.

Pour lui et pour moi, j'ai explosé mes statistiques d'activités, mon tarif horaire.

Pour lui et pour moi, je n'ai jamais renoncé.

Pour lui et pour moi, il ne m'a jamais remercié.

Pour lui et pour moi, il me souhaitait de bonnes vacances

Pour lui et pour moi, je lui souhaitais bonne chance.

Pour lui et pour moi, je n'ai jamais baissé les yeux.

Pour lui et pour moi, il ne m'a jamais supplié, d'un billet ou d'une minute à lui consacrer.

Pour lui et pour moi, je ne songeais pas aux lendemains.

Pour lui et pour moi, il n'arrivait plus à bander.

Pour lui et pour moi, j'étais fatiguée de le voir 

POur lui et pour moi, j'étais préoccupée de ne plus l'apercevoir

Pour lui et pour moi, je lui aurais bien fait voir  la mer

Pour lui et pour moi, je l'aurais bien pris dans mes bras

Pour lui et pour moi, il m'a remis son trésor de pièces anciennes  dans un pot de miel

Pour lui et pour moi, il a dit merde au crack, au valium ect,ect..

Pour lui et pour moi, il a eu son logement social

Pour lui et pour moi, il a payé son loyer, installé sa chaine HiFi

Pour lui et pour moi, c'est à peine si il y a dormi

Pour lui et pour moi, on s'est quitté sur un cancer foudroyant 

Pour lui et pour moi, il m'a souhaité une dernière fois de bonnes vacances.

Pour lui et pour moi, j'ai serré  de ma main son bras, son poignet.

Pour lui et pour moi, je n'y croyais déjà plus

Pour lui et pour moi, il est parti sans le savoir, la bouche légèrement ouverte

Pour lui et pour moi, il est parti, seul 

Pour lui, j'ai écouté sa soeur, sa mère

Pour moi, j'ai accueillie leur douleur et leur ignorance

Pour lui, j'ai tenté de comprendre ses mensonges, sa mère morte

Pour moi, quelques chose s'est éteint, défintivement, dans ce boulot qui m'étreint.

 

Pour lui et pour moi, j'ai une tendresse particulière, inaccessible, un bout de territoire inexploré par quiconque.

J'ai un visage en moi.

 

 

 

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31 août 2011 3 31 /08 /août /2011 21:51

Pour marquer la rentrée, mon coup de pédale a encore une odeur de vacances: le nez au vent, les bras nus, je déambule pour retourner au 9ème parallèle, contemplant les façades bourgeoises, auréolées par les rayons doux du soleil matinal. Elégante, je me laisse devancer par les vélocyclistes emmitouflés dans leur veste demi-saison, le teint blafard et l'oeil tiré: des "pas partis" , des "pas encore" ou "partis trop tôt" et je sais déjà que bientôt, je me fonderais en eux, accusant le coup d'une rentrée que j'aurais souhaité plus douce, le teint plus cireux et la bouche tirée.

Entre deux considérations de ce qu'est la vraie vie, la flânerie des congés ou le rythme effréné du quotidien, je me prélasse doucement, répondant distraitement au téléphone ou à mes collègues: plus là-bas, pas encore ici, je suis encore en phase d'attérissage, malgré l'absence de fantaisie que je décèle autour de moi.

 Le 1er jour, c'est moite, cela ressemble à de la tristesse, une forme d'apathie, peut-être d'ennui ou est ce seulement la mienne?

Le 2ème jour, je me demande si le travail existe, malgré quelques entretiens. Ma mémoire immédiate s'efface minute après minute et je suis embarrassée par moi-même, hésitante à surfer sur le web pour préparer mes prochaines vacances ou à me préoccuper des partenaires à appeler mais lesquels? Car j'ai déjà tout oublié...

Le 3ème jour a soudainement un goût  de déjà-vu: le téléphone se reprend à sonner, les patientes à s'asseoir, les imprévus se manifester. La vérité se révèle alors à moi: la tristesse ressentie du 1er jour n'était alors que le quotidien indicible de l'institution dont je m'étais éloignée durant trop longtemps. La violence des mères et leur souffrance ont le son d'un long blues lancinant, à coups d'harmonica écorché et de guitares désaccordées.

 

Malgré cette réalité qui cavale près de moi, je pose dessus un oeil vaguement indifférent, guettant le moment où elle m'attrapera malgré mes tentatives de la tenir éloignée.

Et elle surgit brusquement, au détour d'un entretien mal anticipé, appréhendé de façon trop légère.

Ils sont tous les trois face à moi: la mère maquillée comme une voiture volée, son regard éteint de psychotique, lui, le père sortant d'une longue peine de prison et leur bébé conçu au parloir, calé au milieu, tétine à la bouche qui me scrute.

Je la connais depuis plusieurs mois. Pour elle et le bébé, je cherche un lieu de vie. Face à mon impuissance, j'ai demandé après le père, histoire de voir.  Il a un faux air de Chris Wadel, cheveux longs et blonds, tee-shirt sportif, regard bleu délavé et affuté. Dès les 1ères minutes, son calme froid me suprend. Celui-ci a des nerfs d'acier, le sens du contrôle. Son regard direct me trouble: j'ai du mal à soutenir. Le contenu de l'entretien devient alors presque insignifiant. Une émotion m'étreint, je sens déjà mes yeux se dilater sous le coup d'un ressenti que je tente de maitriser. Dès lors, de vieux sentiments se réveillent, datant de l'époque de mes années  de pratique en toxicomanie. S'il n'est pas toxicomane, celui-ci est un mauvais garçon à l'ancienne, maitrise des gestes et du mot, économisant ses propos à l'essentiel, soucieux d'efficacité. Celui-là n'est pas fantasque, ni désemparé, ni nonchalant.  Le vieux précepte revient malgré moi "moins tu en sais, mieux c'est" et j'élude la question judiciaire de sa décennie emprisonnée.

Il maitrise, elle écoute, amoureuse, leur petit garçon au milieu. Il est prêt à lui payer un studio, ignorant les conditions drastiques d'une location dans le privé. Face à moi, le trio se révèle  atypique, presque romanesque entre la poule amoureuse du gangster et le repenti.

Mais pas préparée, je ne suis pas préparée à être attendrie par cette réalité, trop fraîche encore de mon soleil d'août, encore trop dans " la vraie vie" et je me glaçe malgré moi car mon instinct m'a rarement trompé entre le menu frettin et le gros gibier.

Le trouble m'étreint malgré l'expérience, victime d'une immersion trop brutale dans un univers qui en définitive n'est pas le mien mais seulement celui des autres.

 

Le blues va donc reprendre encore et encore, aux sons des mêmes instruments, musique universelle mais qui n'appartient qu'à ceux qui la composent.

 

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19 juillet 2011 2 19 /07 /juillet /2011 21:57

Une fois n'est pas coutume: c'est le drame et quand d'autres s'aérent l'esprit à 19h à coups de mojitos bien tassés, d'autres lèvent leur verre à leur ras le bol et à l'éponge jetée, le breuvage magique dans le gosier.

Emmanuelli qui démissionne c'est un peu comme si Coluche dénonçait les Restos de coeur comme "le pis-aller" des pauvres, la couverture de survie qui camoufle la misère pour les bien-pensants à coups de shows nauséabonds et de reprises musicales mal ficelées.

 

Disons le haut et fort:  Un "Fuck off" fait avec style et élégance d'un sexagénaire, un refus de se sentir impuissant, un refus d'entrer dans l'intransigeance, une façon de laisser les minables derrière, plus fort que tous les discours et les manifestations...

Tant de pages et d'encre versées sur celle de Georges Tron, haut fonctionnaire invisible et inutile, quand sera t elle de celle qui a lutté contre la maltraitance faite aux indigents? Certainement pas grand chose car là, si le scandale existe, il est si peu sexy, trop peu racoleur pour qu'en ce mois de juillet, elle fasse grand effet.

Pourtant, on aimerait y croire à cet acte symbolique et révolutionnaire qui questionne et me trouble, j'aimerais y croire que celui-ci va nous éclairer d'une lumière qu'on espère à peine, illustrée par le trop peu de manifestants qui se mobilisent jour après jour.

Quand on s'exclame si fort face au succès du pamphlet "Indignez-vous", j'ai fort à penser que l'indignation n'est plus un ressenti mais un simple exercice intellectuel. Il est bon de croire qu'une pensée hors norme, on en a une. Il est bon d'y croire, tout simplement....bêtise occasionnée par le trop plein de culture et de médias, croyance qui ne forge plus la conscience mais l'excès de suffisance.

L'ultime question toujours et encore: ils en disent quoi les travailleurs sociaux, éternels absents des considérations qui sont les leurs, tous les jours? Pêchent ils par ignorance, manque de reconnaissance ou négligence?

La machine est lancée, ravageuse, un rouleau compresseur sans retour en arrière possible car si les élections peuvent geler temporairement le processus, l'immondice est en chemin...La vraie galère arrive.

Et quand, intervenant en école de formation d'assistant social, je clame que "la période glorieuse du travail social est derrière nous et que viennent les pires années depuis des décennies",des gamins de 20 ans qui veulent changer le monde me supplient "Vous nous dites ça mais vous ne nous donnez pas la solution sauf de nous déprimer". Exact, c'est déprimant mais la réalité est terrible à un point qu'on s'attache à un sourire esquissé, un "Merci" murmuré..des miettes de reconnaissance quand on a mouillé la chemise au point de l'essorer. Des bébés SDF, des femmes maltraitées, des gamins partis pour sauver la société...de la chair à canon qui se fait trucider dans l'ombre et qui devra ravaler ses larmes de douleur pour ne pas finir retraité à 35 ans.

 

Un homme honorable nous a quitté aujourd'hui et 7 soldats ont été inhumés en grandes pompes au Panthéon. Parce qu'il est essentiel de rendre hommage aux grands hommes, ce jour était teinté d'une triste ironie.

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15 juillet 2011 5 15 /07 /juillet /2011 19:25

Quand la période estivale appelle la bouffée d'air, le mojito du soir au sortir du boulot, quand la journée prolongée par un soleil radieux empêche toute instrospection, les émotions du jour se perdent dans des considérations superficielles où seul le Plaisir se taille la part du gâteau.

Ils en ont du courage ces acteurs de l'urgence sociale qui plébicitent le gel de la baisse des subventions du 115 alors que tout le monde s'en fout en cette 1ère quinzaine de juillet: j'ai fait l'effort le 6 juillet dernier, casaque hospitalière sur le dos, entourée de militants du DAL et de deux patientes, supportée la pluie et le soleil, le nombre ridicule de manifestants, la voix nasillarde du président du DAL et l'éparpillement au goût de flotte.

Ca aura été certainement mon dernier pas héroique avant la rentrée de septembre, toute épuisée par les patientes prises dans des situations inextricables, d'entretiens en entretiens, SuperAS, en cette période d'été, a envie de dégager le malheur d'un coup de pied et d'embrasser la Capitale au détour de chaque passage.

 

Pourtant, même si la douceur sucrée de l'air ambiant m'aspire à regarder par ma fenêtre et contempler mon voisin d'en face torse nu à entretenir ces plants de cannabis posés sur son balcon, les visages continuent de défiler sur le fauteuil bleu capitonné, le téléphone de sonner, les collègues de râler. Mais ma voix s'est modifiée, plus traînante et lasse, mon esprit plus dispersé, mes entretiens plus courts, mon entrain amenuisé.

Et dans ces journées qui n'en finissent plus, du lundi au vendredi, quelques pépites se sont cachées, épicées, d'instants de grâce en moments assassins, mon estomac ne sait plus s'il doit chanter la Carmagnole, hilare, ou se tordre dans un soubresaut d'écoeurement.

 

Reconnaître le pas énergique d'une jeune peule glissée sur le sol vinylé, soutenir son regard de bête traquée, entendre de sa bouche "oui, non" et une simple question et la voir se lever, la fesse à peine posée sur le tissu bleu, quand je commence à peine l'entretien: celle-ci décide de ce qu'elle dira, ce qu'elle ne dira pas. Le regard direct, ému, le muscle sec et le derrière bombé, elle mène la danse, auréolée de son histoire d'exil qu'elle n'a pas encore déposé. Jour après jour, seul son regard se teinte d'une couleur particulière. Sa pupille devient noire aux jours les plus sombres, obscurci par je ne sais quel affront ou combat à mener. Il s'éclaircit de gris quand la panique l'envahit, les joues presque tremblantes mais sa bouche reste muette. Son bébé sous le bras, elle fuit le face à face et les éventuelles  questions trop pressantes sur sa présence parmi nous.

Cette peule est fière, prête à affronter tous les torrents d'horreur que son exil va lui faire vivre en France. A la découverte d'une chambre d'hôtel miteuse et insalubre pour sa sortie, c'est l'écroulement, la faille et le découragement. Et dans cet instant où elle éclate sa solitude et son désoeuvrement dans des sanglots incontrôlés, les mots commenceront à sortir et à donner vie à ses racines et à la raison de sa fuite: mariage forcé, menaces, assassinat, conflit éthnique; difficile de résumer à ce que ressemble le quotidien de milliers de jeunes femmes africaines. Elle a eu peur pour sa vie. Enceinte, elle s'est enfuie pour débarquer à Roissy.

 

"Et vous qu'est ce que vous feriez? J'ai besoin que l'on me dise ce que je dois faire". La jeune femme  me regarde, son ordinateur portable ouvert face à elle, son grand bébé sur son bras gauche, le visage tuméfié d'un eczéma persistant. Elle a de grands yeux de biche, perdus constamment dans le vague, les cheveux ébouriffés, la bouche légèrement affaissée en une moue boudeuse. Son bébé n'est plus sous sa responsabilité: il est placé par le juge. Trop éparpillée, trop perdue, il a bien fallu que nous la protégions d'elle-même et lui de sa maman toute esseulée. Deux enfants perdus l'un contre l'autre et pour éviter leur séparation, un départ en province dans un lieu bienveillant où l'on continuera à s'occuper d'elle et ainsi lui permettre de s'occuper encore de lui. Elle y est allé, s'est enthousiasmée mais comme tout chez cette enfant des villes, cela n'a pas duré. Trop loin, trop loin, pas assez de liberté...elle envisage de rester et de confier son fils à une famille d'accueil car c'est la seule alternative possible offerte par le Juge.

Alors quand elle me regarde de ses grands yeux bruns, son fils se débattant dans ses bras et me mangeant du regard, pour me demander si elle doit le confier ou partir avec lui contre son gré, l'innocence de son ton glaçant par le sens de son propos me stupéfie sur place. Je joue l'évitement, affirmant que c'est à elle de s'écouter, que c'est son choix. Mais elle insiste "Dites moi ce que je dois faire. Je ne sais plus". 

Je ne peux pas lutter car je sais combien celle-ci n'est pas en mesure de faire de choix éclairé. 5 mois au 9ème parallèle nous l'auront  appris. Alors je cède pour la délivrer de cette supplique qui l'embarasse.

"Vous avez le droit de ne pas vouloir y aller et de rester ici. Si vous ne vous sentez pas de changer d'environnement, si vous vous forcez à partir, vous ne serez pas bien et votre fils aussi.  Le choix que vous estimez être le meilleur pour vous-même sera forcément  bon aussi pour votre enfant."

"Mais si je reste, c'est pas pour me tourner les pouces: je vais travailler."

Sa réponse est là, à peine déguisée et la mienne suit tout autant.

"Bien sûr et vous irez le voir régulièrement à un rythme progressif..."

Et ces questions  arrivent en cascade sur la famille d'accueil, leur professionnalisme, la durée du placement...

son enfant toujours dans les bras, manifestant à grands coups de reins son impatience ou son compréhension de l'échange qui se joue devant lui. C'est à peine si elle semble le percevoir.

La porte refermée, la nausée m'envahit, la main sur la bouche et les yeux au sol, j'ai comme une envie de vomir sur ce que je viens de dire, de la séparation que je viens d'encourager devant un enfant qui ne peut pas encore s'exprimer.

Hagarde, je descends m'aérer. Mais une autre est là, venue rendre visite à son enfant placé lui aussi, en larmes dans les bras d'une autre. Après l'écoeurement, la gène m'envahit de participer malgré moi à cette machine que j'actionne sans contrôler. Soudainement,  la mère en visite se dégage pour s'échapper de ce trop-plein d'émotion, voici la deuxième qui sanglote à son tour et c'est l'attroupement des femmes enceintes  qui fait corps autour d'elle.

Je me faufile, discrète, pour de nouveau m'engouffrer dans le 9ème parallèle, comme une bouffée d'air frais que je ne peux même plus aspirer  dehors.

 

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25 juin 2011 6 25 /06 /juin /2011 22:13

Entre le silence et mon cri, je ne suis ni là, ni ailleurs: ballotée entre mes onirismes et ceux des autres, je deviens sourde et amnésique.

Je travaille, je persévère, je ris et m'exaspère mais pour quoi faire? Je ne suis plus seulement une voiture en départ à la casse, je suis les palmes du moulin qui tournicotent dans le vent...Partagée, sans cesse partagée à limiter mes périmètres de sécurité, entre réalité sociale assourdissante et la douceur de mes aspirations superficielles, partagée entre deux mondes que je tente de faire mien pour m'en composer un d'unique, je ne suis ni dans l'un ni dans l'autre.Je suis arrêtée au péage, la main ouverte et tendue vers l'extèrieur. 

Assistante sociale mais pas juriste ou psy, bloggeuse mais pas auteur publié, créative sans être utilisée, ronde sans être grosse, en couple mais isolée, un nom mais sans enracinement, des amis sans intimité.

 

Ni là, ni ailleurs, en exil, toujours en exil...Le même constat pérenne, d'année en année, sans sentiment plaintif, malgré les tentatives, les réussites et les échecs, l'étrangeté qui me poursuit de me situer sur une Terre du milieu, à mi-chemin entre plusieurs mondes.

Etre assistante sociale pour s'habiller d'une identité à défaut de construire son propre costume, écouter les autres pour ne pas s'écouter soi-même, entendre d'autres réalités pour se reconforter avec la sienne, avoir des coups de gueule, des coups de blues sans en être la cible, trouver des solutions insolubles à défaut d'en trouver pour soi-même.

Ecrire pour parer l'indicible d'une poésie éphémère, m'envoler vers d'autres cieux le soir et rester à terre la journée, empiler les fictions, les écrits et les mots, me faire plaisir sans donner aux autres,, rêver à d'autres horizons et garder la gueule de bois toujours et encore à contempler l'inutilité de mon imaginaire.

 

De bureau vers un autre, je troque la nuit venue mon habit de ville, assistante sociale déjà vieillissante, à un costume que j'endosse sans complexe, coutures grossièrement cousues, sans coupe définie, à la lumière ravageuse d'un spot à économie d'énergie. Un parrallèle où tout semble à construire, un parallèle sans nom aux portes fermées et obscures, un monde étranger duquel je n'ai pas les clés.

Le goût du travail inachevé me reste perpétuellement en bouche: du 9ème parallèle à cet autre sans numérotation, l'absence de résultat toujours et encore confirme sans cesse mon ignorance. Au 9ème, ces femmes passent leur chemin, le samu social ne les regarde même plus défiler, les penseurs s'échignent à réfléchir je ne sais quoi, le code civil devient un catalogue en tout genre, ma bouche dévide à tout rompre des paroles sans consistance à m'épuiser moi-même avant d'épuiser les autres. Et dans cet autre parallèle de solitude où je me prends à écrire d'autres mots et histoires qui n'appartiennent qu'à moi, ce sont mes yeux qui se brouillent et ma voix qui se tord dans le silence, en quête de soutien et d'une parole bienveillante.

 

Jamais enculer les mouches n'aura eu une telle raison d'être, à une époque où la réussite du faux-semblant semble l'évidence.

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15 juin 2011 3 15 /06 /juin /2011 22:00

SuperAS rompt les habitudes et son ton policé et poétique. Plus de 9ème parallèle, de souffrance muette, de larmes silencieuses, de combat glorieux, d'instants suspendus où SuperAS atténue à coups de phrases ampoulées la violence des tragédies humaines et du système pour mieux les digérer.

Mais la rage de SuperAS n'a pas de son  ni de cris, seulement résumée en un poids sur l'estomac et une douleur cérébrale apparue dès 11H50 ce matin.

Je l'avais anticipé cette journée, endossée l'armure la veille au soir pour y survivre, couchée tôt exceptionnel, comme la veille du bac, coachée mentalement cette journée marathon pour faire briller mes capacités de réactivité.

L'agenda est plein: 7 rendez-vous pour la journée, deux écrits à taper et le 115 à appeler.

Ca ressemble à une journée d'AS, rien de très folichon mais un cauchemar ressemblerait il mieux à cela?

Bizarrement, après 1H30 d'attente avec le 115 et deux rendez vous décalés pour l'après midi, je reste zen, malgré cette musique lancinante qui me taraude les tympans "ne quittez pas, votre appel est pris en compte, un permanencier va vous répondre". Le portable à la main, le haut-parleur branché, je vais pisser, fumer, taper un courrier, répondre à mon portable perso, faire un tour sur le trottoir. Autant dire, j'optimise psychiquement ce qui s'avère être un vrai moment de torture professionnelle. Mais je lutte, je suis relax, car je connais déjà la réponse de la gentille étudiante potentielle qui  me répondra, du soleil dans la voix "on n'a pas de place".

Bingo, ca ne rate pas: à 11H30, pas de places ou plutôt seulement 4 places pour la journée. Au temps chercher une aiguille....Mais préparée je le suis alors je reste relax, je badine presque avec la permanencière du 115 qui doit s'étonner de ma disponibilité. Je suis confiante: on la garde un point c'est tout.

J'ai envie d'une pause pour cette entrée en matière  mais le serrement au ventre arrive: voici les autres patientes qui m'attendent, elles également sortantes mais sans maison et sans soutien.

 

 Et là un tressautement, un début de quelque chose: de l'angoisse, l'envie d'éviter leur présence, l'entretien, leurs larmes parce que ce n'est pas une mais deux, puis trois puis quatre et la cinquième (que j'ai reporté), qui ont toutes la même angoisse: je vais aller où après? Dans une, deux ou quatre semaines?

Mais là parce que je viens de me balader, le poste aux oreilles, façon walkman and co, je connais la réponse: j'ai vérifié ce que je savais déjà, encore et toujours.A l'heure où elles et leurs bébés s'éclosent face à la vie, de souffrance afin apaisées, je suis auprès d'elle, enfermées dans une prison sans issue.

 

Prise dans les entretiens et le temps qui file, j'aligne, similaire à un officier de la Stasi. J'assène cette réalité brutale, moi-même complice de cette violence muette, évitant les silences et les larmes, pour rendre efficace le peu de temps qui s'offre à moi. Je fais l'AS, la mauvaise, directe, celle que j'aborre parce que démunie, je le suis et que deux solutions s'offrent à moi: fuir en milieu de journée de cette ambiance oppressante ou y faire face sans faire front, la tête basse.

Je les aligne et je me sens vide, errant dans les couloirs pour confier mon désarroi: qu'allons nous faire de toutes ces femmes sortantes et douloureuses lorsque personne ne prendra le relais, malgré le travail fait?

Je rencontre le chef de service: sa réponse est lapidaire. Elles sortiront même si elles doivent rester sur le trottoir: on ne se subsistera pas à un système qui flanche. La position politique est cohérente mais qu'en est il de l'éthique? Je tremble...d'un état de fait que j'annonçais moi-même depuis des mois mais la théorie me rattrape et m'aspire. Que vais-je bien pouvoir supporter de faire ou de ne pas faire face aux obligations de l'établissement?

La colère gronde en moi bien moins forte qu'auparavant: je suis terrorisée par mes propres mots, mon propre métier, mon propre pays.

 

Je refuse de comptabiliser les victimes qu'il faudra compter parmis nos femmes. Je propose la province à une femme malade pour qu'elle puisse retrouver ses deux aînés, placés à sa demande. Elle doit choisir: quitter sa région, ses proches et ses repères et retrouver ses enfants ou rester en perdant la garde de ses enfants. C'est un choix viable vous pensez?

Face à ce constat alarmant où le Samu social n'exerce plus ses missions, le SIAO pas encore opérationnel, les structures d'hébergement surbookés, branlebas de combat chez les médecins et à la Direction: c'est pas normal, faut revoir les admissions, on écrit aux instances les plus hautes et blablablas et blablablas encore et toujours....Faut croire que j'ai pissé bruyamment dans un violon durant des mois  pour ne pas réaliser que j'étais entourée de malentendants.

Ironie du sort: faut continuer à remplir l'établissement pour pouvoir survivre et les dossiers s'amassent d'histoires plus sordides et dramatiques, de précarité en ......précarité. Alors on remplit sans pouvoir désemplir, et  la rue directe après, ou on stoppe, quitte à être au chômage dans 3 ans?

Et les placements qui ne se font pas comme ils devraient et les erreurs de la CPAM, de la CAF qui alourdit toujours plus la facture et le travail et les "elles sont où les éducs?", "Qu'est ce qu'elles foutent?" alors qu'elles s'échinent dans des accompagnements périlleux...Entendre sans cesse l'épuisement des équipes, leur ras-le bol quand les cheveux en pétard et l'oeil bas, tu les entrevois avachies à faire la causette avec les patientes et où une envie d'un meutre collectf te prend brutalement.

Ne plus se sentir comme un fer à cheval, pris entre le marteau et l'enclume, mais comme une voiture à la casse qui part à la compression de la tôle, petit cube rectiligne aux aspirités bouchées.

 

Alors on peut en faire des tonnes sur l'égalité des sexes, le harcèlement sexuel ou moral dont sont victimes les femmes au quotidien, actualité oblige, elles peuvent hurler les féministes sur l'inégalité de traitement homme/femme, la société machiste mais tous, nous sommes tous complices d'un système aveugle, maltraitant et assexué  qui annonce déjà le devenir des générations à venir.

Et j'envie de nouveau le monde du spectacle et des médias où le drame humain et social n'est qu'épisodique et fictif. 

 

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9 juin 2011 4 09 /06 /juin /2011 23:32

Agacée, j'étais agacée, par les demandes incessantes des femmes, des sollicitations de toute part, des rapports à taper qui s'entassent, des coups de fil à passer, des "jamais contentes", des déprimées, de celles qui contrôlent derrière votre épaule vos écrits, qui s'agacent de mon retard.

A la mi-journée, je demandais déjà au soleil d'aller se coucher pour me donner une bonne raison de rentrer et dans mon agacement, je mesurais combien j'allais devoir me rendre disponible pour  l'accompagnement de l'après midi: l'audience au juge des affaires familiales pour un divorce épineux.

J'ai vérifié la pression des pneus, fait un peu de place dans ma 3 places de 13 ans d'âge, pris mes statistiques de 4 mois à faire, mes heures sup' à compter sous le bras pour cette attente qui s'annonçait interminable.

Mais pour mon salut, j'oublie vite les murs blancs et la sonnerie du téléphone car si je sais déjà combien cette jeune maman est un délice de suivi, son sourire et sa discussion m'emmenent déjà loin de ma grisaille, malgré l'horreur de son histoire. Elle est en colère, elle a peur: de son mari, de ses beaux-parents; rejetée car commettant le crime d'être enceinte et marocaine, de surcroit. Elle a tout perdu: son titre de séjour, ses allocations, son logement mais y a gagné le bonheur d'être mère, sourire de soleil lorsqu'elle évoque seulement ses filles. Il ne veut rien d'elles, refuse de payer pour des enfants de 1 mois qu'il ne verra pas.

Nous franchissons les portes de la ville et déjà, elle avoue sa boule au ventre, grossissant à la porte du tribunal, se manifestant dans ses yeux de malvoyante lorsqu'elle le croise, ignorance manifeste et muette des deux époux qui ont pu s'aimer il y a deux ans à peine.

Il y a foule, confirmant la statistique qu'un couple sur deux divorce: de 25 à 65 ans, têtes brunes et grises; ils sont là ces couples déchirés qui s'évitent ou ceux qui plaisantent, amour transformé en amicale colocation, avocats piaillant d'impatience devant le retard qui s'accumule: 2 à 3 hrs en moyenne. La juge serait elle elle-même une femme divorcée?

Ca s'apostrophe, ca fourmille, ca pleure et ça tempête: du mari qui refuse de payer la mutuelle, de la femme qui sanglote, des ex qui sirotent un café ensemble, de ceux qui se demandent ce qui s'est passé pour qu'ils ne puissent plus s'aimer, comme deux vieux copains de faculté.

Et l'Autre est là, guettant nos allers et venues, droit comme un pilier, attendant comme nous autres, l'avoué en robe noire.

Le sien débarque, petite brune nerveuse, le cheveux défait comme ses consoeurs, la robe sur le bras, bien loin des maquillages parfaits des beaux cabinets parisiens où l'on traite davantage de patrimoine que de drames humains.

Le nôtre arrive: ce n'est pas la coriace bien connue de mon héroine du jour, celle qui défend le dossier bec et ongles depuis des mois, qui fout les huissiers au cul pour démonter ses mensonges, qui lui fait la totale. Non, plutôt un Guy Marchand débonnaire, muscle sec, sourcils fournis et regard d'aigle, missionnaire envoyé pour sucroît de travail. 

Les deux se téléscopent dans le couloir et déjà le ton est donné,  empoigne verbale sêche et emportée qui annonce déjà la tranquillité du débat à venir: Mr a un petit salaire, Mme n'a plus rien, Mr doit changer d'attitude, Mme doit se calmer avec les huissiers, Mr a rendu l'appartement sans lui dire, Mme a abandonné le domicile conjugual. Joute verbale jouant à un jeu de dupes, une prise de pouvoir. Chacun est armé, on devrait pouvoir commencer.

 Les minutes s'égrennent, les heures, la salle d'attente se vide. Près de nous, une femme montre les traces de bleus de ses enfants sur photo à son avocate.

 Début d'audience: je reste à l'extèrieur du débat. Il est 19H et je n'ai pas ouvert ni mes statistiques ni mes heures supp'. En sa présence, cela aurait été déplacé et en son absence, si tard, cela n'a plus de sens.

Je distingue les éclats de voix, celle de la brune piquante, stridente et celle plus grave de Guy Marchand. 

Des portes qui claquent, des robes noires qui se retirent, le tribunal s'est vidé de ses habitants, seules quelques âmes esseulées demeurent et petit tour de garde du gardien de la paix.

150m2 de salle d'attente vide et le dernier groupe s'asseoit sur mon banc: deux avocates et la femme à la photo d'enfant.  Les joues bien ouvertes, elles débatent: de l'insuffisance du personnel, de la réforme de la garde à vue, des autres juridictions. La plus jeune doit être stagiaire: sans robe, elle est encore à la fac. Le préjugé me perd quand après 20 minutes d'écoute active, je réalise que ces deux bonnes copines qui se vouvoient représentent chacune les deux parties. A priori, leur relation ne se définissant qu'en fonction des murs qui les entourent. Passées la porte capitonnée, qu'en sera-t-il alors? La femme à la photo se tait, discrète, et je prend alors conscience de la présence d'un monsieur, assis à l'autre bout de la salle, seul, la tête courbée :le père certainement....

D'éclats de voix  en moments de silence, 19H45, la porte s'entrouve, chacun s'éloignant dans un bruissement de tissus pour s'éviter mais je ne vois qu'elle: la mâchoire tendue, le regard dur. Je devine, elle me confirme: les mensonges éhontés entendus, la mauvaise foi, la mise en accusation là où elle n'a voulu que se protéger, la pension alimentaire minable proposée: 50€ par tête, à 3, ca fait pas lourd pour vivre quand on n'a même plus le RSA. Guy Marchand susurre: "cela sera un peu plus, une centaine d'euros", puis ajoute "faut vous trouver un logement Madame" avant de s'éclipser devant nous, dans le silence du tribunal. Je reste coît..

Sur le parvis, voici l'Autre qui jubile, le sourire diabolique et narquois et je me réjouis du handicap visuel de mon héroïne...Glaçant.

Trajet retour. Instant de colère où sentiments d'injustice et de culpabilité se mèlent, me déversant les mensonges entendus: mise en doute de son BTS marocain, affabulations de sa part, séductrice diabolique, expulsion du pays souhaité par le mari lorsqu'il est allé se chercher une femme au Maroc, l'a épousé pour la faire travailler 35H, elle bachelière littéraire et BTS animation sociale, l'a isolé  la terrorisant durant des mois pour la faire avorter...L'homme est un pauvre idiot, beauf de surcroit, à peine le niveau bac, confirmant encore qu'à 25 ans, on peut voter FN et être bête et méchant tout simplement.

La colère passe et s'apaise d'elle-même. Soucieuse de ses filles, elle sait qu'au fond, si la justice ne la reconnait pas, elle est victorieuse: par son courage, la beauté de ses matins au réveil lorsque ses yeux se posent sur elles deux.

Qu'idiote elle ne l'est pas mais que simple con, il l'est certainement.

"Mettons la radio, j'ai envie d'écouter de la musique. Laissons cela derrière nous que je retrouve mes filles"

Et pour la 1ère fois, depuis 1996, je me prends à fredonner "Les poèmes de MIchelle" détournant la tête vers la fenêtre pour contenir mon émotion de la justesse de l'instant.

 

 

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