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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 22:59

"L'un des symptômes d'une proche dépression nerveuse est de croire que le travail que l'on fait est terriblement important." vu sur Facebook.

 

Une citation d'auteur inconnu m'a donné à réfléchir: accorderais je, en prédisposant la vie d'un blog à mon existence professionnelle, une importance orgueilleuse à mon activité, ma pratique et serait-ce un palliatif réconfortant, meilleur que les anti-dépresseurs, pour lutter contre l'impuissance et l'absence d'influence que j'ai somme toute, comme tout à chacun, sur celle des autres?

 

Ma première pensée: c'est quoi les autres symptômes? Je me suis regardée dans mon miroir: j'ai vieillie, des rides d'expression que je ne me connaissais sont apparues, mon regard et ma peau sont ternes, mes cheveux sont mous.

Serais-je ne train d'y laisser ma santé? C'est ça la dépression ou un peu d'Oenobiol fortifiant et ca repart?

 

Ma deuxième pensée: un blog n'est pas davantage exhibitionniste et nombriliste que de se regarder et s'écouter en permanence. Si je pêche par excès de franchise, c'est pour mieux me les regarder en face mon impuissance et mes contradictions. Ce n'est pas un hommage à moi-même, ni aux autres femmes mais la parole que l'on peut s'accorder à soi et à celles des autres deviendrait elle tabou soudainement?

 

Ma troisième pensée: est ce que je travaille trop ou le plaisir que je peux ressentir est il une faute de goût? Devrais-je me contenter des potins de bureaux, des mesquineries féminines qui habitent le monde du social: devrais-je y trouver un contentement superficiel, un sentiment de satisfaction chimique, donnant une saveur artificielle que la journée a été bien remplie? Est il légitime de se laisser croire que parce que je travaille avec et pour des inconnues, cela relèverait d'une importance supèrieure que le télémarketeur ou l'assistante de je-ne-sais quoi qui ambitionnent le chiffre, la rentablilité ou la promotion d'une entreprise participant ainsi au bien-être des collègues par un salaire assuré à la fin du mois?

Est ce différent, après tout? Pourquoi une assistante sociale, parmi d'autres, s'autoriserait le droit de croire ou de penser que son quotidien est plus palpitant que la moyenne?

 

Ma quatrième pensée a semblé trouver quelques éléments de réponse: peut-être parce que l'on ne peut pas faire ce travail si  l'on n'accorde pas de l'importance aux gens que l'on rencontre: leurs paroles, leurs regards, leurs silences et leurs larmes sont autant d'enseignement sur qui je suis et sur la condition humaine, autant que dans les Zola et mon cynisme.

Peut-être parce que assistante sociale, éboueur, secrétaire, postier, cinéaste ou journaliste, nul n'a pas plus d'importance que l'autre car perdus nous le sommes tous, qu'importe le succès et l'argent, si ce n'est se donner l'illusion que l'on est un peu plus ou un peu moins estimable que son voisin et rendre sa vie plus frivole.

 

Peut-être qu'accorder de l'importance à son métier n'est tout simplement plus d'actualité, sur la même litanie que plus personne n'a d'importance, si ce n'est l'image glorifiante que l'on recherche dans ce regard que l'on croise.

 

Alors oui, j'accorde à mon travail une importance toute particulière et terrible à la fois, comme j'accorde de l'importance à tant d'autres choses parce que, comme tout à chacun, je suis importante. Sinon, pourquoi vivre? Mais cela a t on le droit de le dire aussi?

 

Alors vu sur Facebook cette semaine....

 

«N'essayez pas de devenir un homme qui a du succès. Essayez de devenir un homme qui a de la valeur.»
Albert EINSTEIN

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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 21:55

Vendredi, 17H30:dernier rendez-vous d'une semaine chaotique où mon paquet de mouchoirs s'est vidé en deux jours et mes oreilles devenues sourdes à force de téléphone et d'écoutes disponibles.

 

17H30, dernier rendez-vous, prévu initialement à 17H mais en retard, je le suis encore...sans cesse en retard, sans cesse prise dans un flot continu d'imprévus.

 

Je la revois pour la deuxième fois de la semaine, je la connais à peine.

 

 Elle vient de s'arrimer à notre établissement, le ventre tendue de jumelles  en devenir, le regard égaré de la marocaine terrorisée par un mari "bon français et patriote" qui refuse cette grossesse, ne souhaitant de son épouse qu'une bon travailleuse  mais certainement pas une bonne mère. Ils se sont rencontrés dans ces prisons touristiques pour français en quête de rêve en toc, couleur sienne: lui, en simple touriste, accompagné de ses parents,elle, animatrice au club enfant.

Ils se sont vus, ils se sont aimés: il est revenu plusieurs fois, elle s'est laissé épouser sans l'assentiment de sa famille, il l'a ramené en France, l'a installé chez lui, lui a demandé de travailler, elle a fait ce qu'elle a pu, de petits boulots en petits boulots. Elle a obtenu un titre de séjour un an renouvelable chaque année, femme de français patriote, français de souche, bon français.

A quelques semaines, elle lui annonce sa grossesse. En réponse, il appelle la gynécologue pour la faire avorter, puis ses parents pour la terroriser. Son calvaire durera 3 mois: menaces de tuer ses bébés in utero, menaces de provoquer une fausse couche. Il demande le divorce car il ne l'a pas épousé pour qu'elle ponde: l'argent est leur seule exigence, à lui et ses parents.

Elle quitte le domicile, terrorisée par cette brique de jus d'orange perdue dans le frigidaire pendant un mois et dont la durée de vie moyenne n'excède jamais une journée pleine, gourmandise de son époux oblige. Elle imagine le pire, elle craint l'horreur à venir.

Terrorisée, voilà une femme apeurée qui se réfugie chez l'assistante sociale de la ville puis dans une structure de mise à l'abri pour femmes enceintes avant de franchir notre porte.

La première fois, je prends contact seulement: elle me dépose cette histoire, le regard d'une bête traquée, dans les larmes. La conciliation de divorce est entamée, triste expression, son titre de séjour bientôt expiré: je lui redonne ce rendez vous de 17H ce vendredi avec ses documents administratifs.

 

17H  Elle est là, m'attend sagement dans cette rotonde triste, sur cette unique chaise, une pile de magazines où se chevauchent Metro, Voici et Biba. Elle m'attend, je la vois à peine, trop préoccupée à organiser mon accompagnement de lundi matin qui s'annonce épique, presque agacée de savoir que la journée n'est pas finie.

 

17H30 "Ca ira vite, me dis-je. je regarde ses papiers, j'organise les démarches à effectuer la semaine prochaine et hop là, je file soulager la baby-sitter, si chèrement payée."

Coup de massue: son titre de séjour expire le lendemain, samedi: c'est ironique de penser que la préfecture puisse recevoir le public un jour chômé.

Rien n'a été fait: pas de convocation, rien, aucune démarche enclenchée. En proie à son divorce et à des contractions précoces, elle n'a pas pu s'y rendre. Mais son avocat? Elle lui en a parlé mais le droit des étrangers, c'est pas son créneau. Les travailleurs sociaux? "On peut rien faire pour vous" Hein? me dis je.

Bon, je sens déjà que la moutarde me chatouille car la préfecture, je vais devoir me la farcir. Y'a une semaine j'étais à celle d'un département voisin, bientôt ce sera celle du deuxième voisin...Je vais bientôt pouvoir faire un guide sur les meilleurs accueils du service public pour les étrangers.

 

La moutarde me chatouille, seulement. Avec tout le flegme qu'il me reste ce vendredi à 17H45, j'appelle ma copine de galère, juriste de pointe, spécialisée en la matière, pour qu'elle me confirme ce que je crois déjà savoir mais avec la question "quid de la régularisation dans une préocédure de divorce".

J'ai quelques scrupules à l'appeler, quoique...je ne m'y attarde pas vraiment: enceinte de 8 mois, elle aura plaisir à me donner un petit coup de main. Pour mon bonheur et mon malheur, elle répond.

Situation exposée, je manque de tomber de ma chaise: c'est lundi ou jamais qu'il faut s'y pointer au paradis des étrangers de France. Pas mardi, ni mercredi mais lundi. En gros, il aurait fallu y aller hier car la fin de drois lui pend au nez et donc mise en péril de cette marocaine terrorisée avec ses bébés rejetés.

 

18H. Je lui explique la situation, quelque peu génée par l'émotion que cela peut susciter pour elle et ses bébés. Elle reste calme mais lundi c'est pas possible: elle a son echographie de contrôle. Tant pis, faut décaler, insistera ma copine de galère. Ok, ok, je baisse les armes, réunis avec elle les documents: c'est une femme consencieuse, ca va vite. Je m'affole autour de la photocopieuse, mon chef ne comprend rien à ma tête car je bascule entre fureur et satisfaction d'avoir lever ce lièvre, comme un flic fouille merde avec son indic'.

On doit décaler l'écho: la sage femme  n'y comprend rien, le rdv a été difficile à prendre, ca craint pour la Maternité. Je m'en fous de ces considérations, c'est une écho, on va pas en faire un drame, persuadée au moment que le drame c'est moi qui le vis et qui pense pouvoir l'éviter pour elle et ses bébés. Je gagne ce combat misérable contre médical et social, forte de penser que c'est maintenant ou jamais, forte de rappeler que si je pouvais éviter d'y aller lundi, je le ferais car un accompagnement j'en ai déjà un!

Mais je me remets entièrement à ma copine de galère: plus fiable sur les conseils, tu meurs.

J'appelle quand même ma baby sitter et je songe à réclamer 9€ de plus ce mois-ci pour frais professionnels supplémentaires.

 

18H15 Je la retrouve dans mon bureau, la mine déconfite, les yeux humides. Je m'excuse de lui donner tant d'émotions et de stress, positivant la situation car enfin, la préfecture, on va y aller après tout. Elle me dit "non, non, ca va aller, ce n'est pas ça mais je suis émue. Voyez-vous personne n'avait jamais courru pour moi auparavant."

Je reste interdite avec la force de répondre toutefois "J'ai l'air de courir comme ça mais non je ne cours pas. Vous allez découvrir ma façon de travailler , vous allez vous habituer".

Et elle de répondre: "Oui mais je ne veux pas vous embêter. Ce n'était pas prévu."

Et moi de terminer:" Je ne vais pas vous mentir, mon lundi est bousillé et alors? C'est vous et vos bébés qui comptez, votre avenir à tous les 3, pas moi"

 

Une réponse qui me laisse un peu perplexe, quand même....

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29 mars 2011 2 29 /03 /mars /2011 19:11

Si je savais que certaines de mes collègues ne lisaient pas de temps à autre ce blog, j'aurais pu intitulé cet article "Lettre ouverte au chef" mais comme il ne s'agit ni d'un déversoir ni d'un journal intime, je me contenterais de prendre de la distance, si chère aux professionnels, et de faire part uniquement des infidélités bruyantes qui envahissent mon esprit.

 

Ca y est, y serais-je au bord du  burn out où je ne suis plus en mesure d'écrire de jolies choses, de sublimer oserais-je, les douces mélancolies des femmes que je reçois, d'habiller de poésie l'indicible: la terreur  et la violence des pères, des maris, des compagnons, la crainte de la mort face à la maladie, l'enjeu de la précarité et de ses effets dévastateurs, des bébés laissés à eux-mêmes, de la violence familiale et politique?

 

Y serais-je moi-même au bord du chaos, la tête explosée de toute part, palliant au plus pressé, sans possibilités de réfléchir aux enjeux de mes paroles, de mes actes? Suis je donc proche de l'implosion, caricature de moi-même et d'autres AS en souffrance, me mourrant dans l'idée fausse que me renvoient certains qu'agent administratif je suis seulement?

 

Aligner les entretiens, tendre des mouchoirs à ses femmes effondrées, les rassurer en les accompagnant, répondre sans cesse au téléphone et se rendre éternellement disponible quel que soit les circonstances, oui je le peux mais quelqu'un pourrait il de temps à autre me donner aussi un peu de son épaule, pour m'éviter de prendre un mouchoir seule face à moi-même?

Non, personne ne peut à cette heure, persuadé que "les objectifs sont remplis" et que donc, idée fausse, tout va bien car pas de plainte, pas d'états d'âmes: c'est parfait. Quand une voiture ronronne doucement, pourquoi lui offrir une révision?

 

Je m'engraisse: mon corps du stress, ma tête de toutes ces histoires, à plein temps et demi. Et cette impression nauséabonde que je commence à mal faire mon travail: incapable d'en parler, d'y réfléchir, enchainant sans cesse, vraie tête brulée du social.

 

J'en aurais des moments exatrordinaires de dramaturgie à faire pâlir d'envie les meilleurs de scénaristes et humanistes, des temps de douce poésie où la nature humaine se révèle de plus la brute des façons, des instants précieux, magnifiques, des bijoux de moments où la simplicité et la complexité des sentiments se mèlent.

J'en ai, à la pelle, à ne pas sa voir qu'en faire, à presque m'embarrasser au point de vouloir organiser "un vide-grenier". C'est le  printemps, c'est l'époque mais y'a pas à dire le monde de Candy et de Princesse Sarah est loin derrière moi et la détresse de tous les jours, les larmes et le silence obscurcissent mon imaginaire.

 

Alors somme toute, je cherche un refuge soir après soir, tétanisée par la fatigue et la lassitude, m'oubliant dans d'autres mots pour y parler d'un autre univers, loin du Front, loin des blessures des autres femmes et des êtres en devenir.

En recherche quand même d'une oasis où je pourrais me détendre, entre deux coups à porter ou à recevoir.

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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 22:52

 

Une vérité m'est apparue, clairvoyante: montrer du doigt les dispositifs et leur carence c'est confirmer que ce boulot ne sert à rien sinon écouter les gens et leur dire sans cesse "Ca ne va pas être possible".

 

De vous trouver un logement? Un emploi? Des thunes pour éponger vos dettes? Vous protéger vous et vos enfants? Obtenir des papiers?Lutter contre la dépression? Le racket? D'une vie de merde?

 

CA NE VA PAS ETRE POSSIBLE ou au prix de quelques sacrifices: d'années, de compromission de boulot de merde en boulot merdique, de 50€ par çi à 100€ par là, de changer de quartier mais là faut trouver un logement alors faudrait pas trop en demander...

 

Alors cette profession se résume t elle à écouter les gens, hocher la tête en signe d'assentiment, ne pas détourner le regard face aux larmes et dire avant de mettre fin à l'entretien "ca ne va pas être possible à moins que..."

 

A moins que quoi? Que vous repensiez vos priorités, que vous chauffiez un peu moins votre appart' pour vos économies et la planète s'en sortira mieux (Soyez citoyen de la planète!), que vous arrêtiez d'acheter des fringues de marque à vos gamins (ca soignera le racket), que vous acceptiez de faire 2h de transport pour bosser 4hrs dans la journée, d'arrêter l'alcool (pas bon ni pour vous ni pour la sécu) et votre vie de merde sera un peu moins une vie de merde!

 

Formidable ce boulot où l'on enseigne à l'autre à supporter son existence misérable en la rendant plus conforme à la pensée populaire. Mais est ce suffisant pour se satisfaire de sa journée de travail?

N'oublions pas qu'au même titre que la force publique, être travailleur social c'est aussi participer au bon ordre public: calfeutrer la misère, l'accueillir, la temporiser c'est aussi éviter que celle-ci n'aille hurler dans la rue des jolis quartiers ministériels: c'est garantir l'ordre de la société.

 

Alors que nous reste il comme élément de contentement, si ce n'est mettre un peu d'ordre, à l'échelle individuelle, dans tout ce capharnaum?

Et bien, loin de toutes les idées reçues qui habillent tant de consoeurs, l'assistante sociale n'est pas si impuissante que cela. Dirions nous un tabou?

 

L'assistante sociale est détentrice d'un pouvoir qu'elle est libre ou non d'exercer et qui est loin de respecter les règles déontologiques, académiquement apprises à l'école.

 

L'assistante sociale, dans son petit bureau de petite employée, va, de ses oreilles subjectives et de son esprit peut être étriqué, décider qui "mérite" de bénéficier de son temps et de son énergie. L'assistante sociale est comme tout à chacun, sujette à des périodes de ragnagnas ou d'obscurantisme mais ayant le "pouvoir" de ne pas faire respecter les droits fondamentaux de chacun.

 

L'assistante sociale a le pouvoir de réléguer au fond de son bureau le dossier qui la gène ou la dérange parce que le monsieur ne sent pas très bon et qu'il tient des discours conformes à ceux du FN.

 

L'assistante sociale a le pouvoir de  laisser son imagination courir et vagabonder lorsqu'un enfant aura des gestes équivoques, aura la légitimité d'affoler tout le monde, de contacter la Brigade des Mineurs parce que "son petit doigt lui aura dit que tout ca c'est pas très net quand même".

 

L'assistante sociale a le pouvoir d'écrire la vie des gens, de la sublimer par un écrit de qualité ou de la dilapider, à coup de syntaxes et de grammaires malhabiles.

 

L'assistante sociale a le pouvoir de vous obtenir un logement (et oui!) parce qu'après vous avoir dit "ca ne va pas être possible", sort elle un dossier de son tout p'tit bureau pour le remplir avec vous ou se lève t elle pour vous serrer la main?

 

L'assistante sociale a le pouvoir de vous permettre de rencontrer des gens qualifiés si vous êtes dépressifs, femme battue, toxicomane ou au RSA pour rendre votre vie de merde un peu moins merdique ou vous écoute t elle sans fin déblatérer pour ne rien vous proposer et aller s'enfermer elle-même aux chiottes pour pleurer?

 

Parce que soyons honnête: ce qui fait mouiller les assistantes sociales, ce n'est pas là où résonne leur impuissance mais où s'exerce leur pouvoir...et qui selon les mains dans lequel il est mis, est capable de très grandes ou de très mauvaises choses...

 

Et ca, cela ne peut plus être possible...

 

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16 février 2011 3 16 /02 /février /2011 21:56

 

Elle est grande, un port de reine africaine, les cheveux courts, le regard bienveillant et un sourire lumineux. Discrète, elle glisse sur le sol, son grand boubou trainant à ses pieds. 

Elle s'excuse: d'avoir rendez-vous, de s'asseoir, de la sonnerie de son téléphone, de ses larmes, de son impuissance, de sa souffrance.

 

En 2010,  elle a été licencié, a enterré ses parents, assassinés au pays, raté un logement social durant l'enterrement, vécue sa grossesse seule au samu social,  frôlé la mort durant l'accouchement de sa deuxième fille, vécue la séparation, développé une insuffisance chronique dû à cette mise au monde traumatique.

De 2010, elle en aura vu beaucoup et lorsque nous l'accueillons, elle est épuisée, sans plainte, juste capable de pleurer sur cette mort qu'elle a vu en face, pleurer sur ce bébé qui a tant souffert.

 

Mais cette femme n'est pas une souffrance, elle est une force, tendue par son besoin viscéral de réunir ses deux filles auprès d'elle.

Sa fille de 15 ans est une fierté. Dès l'âge de 9 ans, après l'école, elle lave, repasse, cuisine, nettoie, élève ses petits cousins. Sa maman ne se doute de rien: hébergée à droite et à gauche, elle pense lui offrir une stabilité familiale qu'elle n'est pas en mesure de lui donner. Elle tente de faire sa place dans la société française, travaille dans l'administration, cherche un logement pour elles deux. 

Puis le couperet: les résultats scolaires dégringolent, sa fille s'endort en classe et les mots sont lâchés: elle n'est plus une enfant depuis bien longtemps. Elle l'emmène avec elle, dans sa course au samu social, instabilité et insécurité, mais comme une évidence qui s'impose à elle-même, en patientant sur une hypothétique solution de mise à l'abri. Elle rencontre une SuperAs scolaire, trouve une place en internat scolaire: sa fille prendra enfin le temps d'écouter Skyrock...et obtenir une bourse de l'excellence...

 

Et elle repart, seule au Samu Social, découvre sa grossesse tradivement et les évènements que lui réservaient l'année 2010.

Et elle arrive dans mon bureau, pleines d'attentes à peine formulées, son bébé sous le bras, avec cette idée "Jamais sans mes filles".

L'enjeu est complexe, bouleversant. La réalité du dehors est là, sous mes yeux, dans mes écrits, mes temps de transpiration, sur mon blog et je frémis à l'idée de la sortie et du peu de temps pour éviter un autre drame.

Je fais tout, accompagnée d'une stagiaire motivée et efficace: le tour du dispositif, appels téléphoniques, mise sous enveloppe, relances, logement passerelle, CHRS....J'en appelle à l'aide de ma collègue de secteur qui l'a suit, ne fais rien et me fais pester.

Les jours passent, la patiente compte les jours, continue à s'excuser de me donner tant de travail, entend cette réalité assassine, l'accepte, résignée mais ne baissant jamais les bras. Nous abordons même l'éventualité de la province: jamais elle ne la refusera mais craignant de destabliser son adolescente  par un tel changement.

 

Un évènement intervient: son état médical est préoccupant; cette mère courage développe une insuffisance rénale au stade chronique, ses reins ont trop souffert de l'accouchement; ils sont bousillés.

La sortie au Samu social est possible mais inenvisageable pour notre équipe. Déjà investis, nous sommes touchés en plein coeur. Dans ce malheur, se dessine une dernière éventualité, cynique: un appartement associatif  mère-enfant, pour raisons de santé.

Le medecin me suit, remplit la demande en 48Hrs, on photocopie, envoyés en 8 exemplaires sur toute la région, ce dossier comme un dernier sésame, avec sa lettre, intelligente, boulversante, sans fautes d'ortographes.

 

On connait les délais: 6 mois en moyenne. On ne pourra pas tenir, c'est trop long. Ma stagiaire y croit moins que moi, pragmatique mais je refuse cette éventualité: ca doit marcher, ca marchera...Comment pourrais je dormir sinon?

 

On a attendu 3 semaines jusqu'à aujourd'hui, un appel téléphonique et une voix masculine pour proposer un entretien d'admission sur un studio libre, un studio pour s'y installer avec son bébé et y accueillir son aînée le week end.

 

J'ai levé les bras au plafond, descendue un étage pour la prévenir, ouvert sa porte: son téléphone sonnait, c'était la même voix masculine...je l'ai laissé répondre, elle s'est isolée, je suis sortie de sa chambre, tremblante.

 

5 minutes plus tard, elle m'a prise dans ses bras ,1 fois, 2 fois

10 minutes plus tard, elle me reprenait dans ses bras 3 et 4 fois: elle avait chaud, elle transpirait, choquée, pleine d'émotions, me répétant sans cesse merci,merci, merci, mes yeux s'humidifiant par la beauté de l'instant.

Son bébé dormait, ignorant la portée du moment.  je l'ai laissé à son émotion.

 

15 minutes plus tard, seule sur son lit, elle pleurait de soulagement.

 

Et moi, je respirais mieux.

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6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 10:27

ASH, comprendre "Actualités sociales Hebdomadaires", la revue de la semaine lu par tous les professionnels du social, l'équivalent du Monde, pour les plus avisés:

la Bible, la référence, que l'on feuillette sans lire vraiment mais qui donne une contenance, une intelligence, une connaissance relative de ce qui se trame de pire (rarement de mieux) dans nos politiques sociales....

 

Le vendredi, c'est le jour des ASH au même titre que le 6 du mois c'est le jour des allocs à La Banque Postale...

Une fébrilité montante pour découvrir avant tout le monde les annonces de l'emploi de la semaine avant même de regarder les titres souvent déprimants (cette semaine: le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre). Un magazine qui est passé du papier journal format détachable, tout tâché, au papier glacé, indétachable, mais qui affiche inlassablement ces couleurs blanches et bleues et son éternel "aide mémoire du travailleur social" faites de chiffres incongrues sur les nouveaux plafonds des droits sociaux et de sigles incompréhensibles (ASS, ARE,RSA, IJJ...)

Un objet éditorial tellement passionnant qu'il en devient assommant: le luxe de sa possession résidant dans le simple usage de ne pas le lire...

 

Mais aujourd'hui, 1ère date anniversaire de ma dernière embauche, j'ai reçu comme cadeau, ce précieux ouvrage...Pour la première fois, depuis un an, j'ai eu entre mes mains ce sésame, désiré depuis tant de mois, objet de tant de sollicitations auprès de ma direction: sensation jouissive, sens exacerbés au toucher et à la vue, de retrouver ce vieil ami du vendredi...

Car après une période de dépendance de plusieurs mois où l'attente fébrile du vendredi me laissait espérer d'autres horizons professionnels, la choc brutal: un changement de poste avec  une abstinence forcée sans possibilité de me soulager, faute de crédit suffisant et donc d'abonnement.

 

Un an d'ignorance quasi totale, un an d'exclusion au terme duquel je commençais à perdre ma dignité d'assistante sociale, souffrant de ne plus savoir ce qui se passait chez le voisin (entendre l'institution qui ouvre, recrute...), un an tenu à l'écart des projets de lois les plus incongrus, insultants ou inutiles. 

 

Retrouvé, je l'ai retrouvé...en réunion, et malgré cette impolitesse, je l'ai feuilleté, caressé, lu et relu, comme jamais je n'avais lu un ASH de ma carrière...Lu les chiffres de la Fondation Abbé Pierre, lu les annonces, l'accouchement sous X, le projet de loi sur l'immigration (merde! Encore une....) ect, ect...détaché le fameux aide mémoire pour l'afficher dans mon bureau et constater malgré ce temps, que rien n'avait beaucoup changé...

 

Mis à part que j'ai lutté encore une fois de ne pas me déprimer sur le rapport de la Fondation mais rassurée à la fois sur mes incapacités à trouver des hébergements ('"je suis une bonne AS, c'est la faute au système"). D'ailleurs, quelle AS ne s'est pas cachée un jour derrière les failles du système pour exprimer son impuissance, ou pire même, ses propres erreurs?

 

Malgré cette inertie persistante, j'ai mes ASH alors il fait beau, aujourd'hui...parce que ses petits plaisirs me permettent d'en attendre de plus grands, des sourires des bébés à celui des mamans quand sera venu le temps de leur départ, le temps de leur re-naissance...

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4 février 2011 5 04 /02 /février /2011 22:38

 

Oui, Iphigénie  c'est comme du Sophocle ou plus récemment comme un mauvais soap opera avec une mauvais audience entre 10H et 11H, calé entre les dessins animés et le journal régional, où personne n'aime et tout le monde regarde, d'un oeil éteint, en repassant (pour les femmes au foyer actives) ou en commatant  pour ceux abrutis par l'alcool du petit déjeuner ou de la veille...Mauvaise audience c'est sûr, on regarde, on lit mais a t on envie de connaître la suite?

 

 

Une petite pause récréative donc: serait ce l'heure de "télé shopping" ou " du côté de chez vous"? Le genre de truc qui vous distrait où l'on songe respectivement que l'on nous prend pour des cons ou que l'on est con, simplement. Entre ces saloperies en plastique et une vie qu'on aurait meilleure dans le Luberon, avec maison d'architecte et tout le tralala, la vie citadine c'est pas une vie car ca fait pas un budget...Et ces saloperies en toc, on peut même pas se les offrir, de toute façon!

Passons, passons de toutes ces considérations télévisuelles ou n'est ce pas plutôt pour éviter le Problème majeur du moment: quand le travail devient un havre de paix, une échappatoire au quotidien, l'endroit où je respire et  où l'on me contrarie, me frustre mais de façon modérée.. aux antipodes d'un enfant de 3 ans qui me crispe et me contrarie systématiquement.

Quand le travail, la difficulté et le malheur des autres, me donne de l'air, dois je me sentir coupable?

 

Quand l'assistante sociale, que je suis, oublie tout, oublie même la nudité d'une femme devant elle, hanches et seins volupteux, pubis rasé, sortant de sa salle de bain pour un RDV que je veux lui donner, oublie l'incongruité de la situation lorsque agenda ouvert et stylo en marche, je cherche, tranquille, un jour, un horaire pour le fameux RDV. Oublie la belle femme, postée devant moi, entièrement nue, attendant tranquillement aussi, le dit RDV...J'oublie tous les principes appris, de la bienséance, du cadre, de la relation, j'oublie et je fais, simplement, ni deboussolée, ni confuse. En réalité, c'est à peine si j'enregistre la scène...C'est grave, doc? En fait, elle m'aurait demandé un conseil, une information, voulue montrer un document, un formulaire, on aurait presque pu s'asseoir  tel quel sur son lit et boire un jus d'orange. Ou circuler librement dans sa chambre où j'aurais pris soin d'éviter tout contact, me rendant alors compte de l'absurdité du moment...

 

Travail social et naturisme...serait ce à tenter? La fameuse relation d'aide en serait elle de meilleure qualité?

 

Super AS ne sait plus qu'elle est la super attitude parce que ne sait plus réfléchir où suis je rattrapée par des réflexes pavloviens professionnels (pour Pavlov, chercher dans Wikipedia) qui déterminent en partie mon experience?

 

14H: Réunion partenaires ou comment je retrouve une autre Assitante sociale avec qui j'ai fait la formation pour le fameux diplome...Choc!! Moi qui m'offre le luxe régulier de ne pas tenir mes liens et d'autant plus de ma période étudiante, je la reconnais, c'est immédiat. Elle n'a pas vieillie, elle n'a pas grossie et me montre toujours cette mine parfaite que je lui connaissais naguère...Elle, elle a conservé des liens avec les copines de promo, a des trucs à raconter, moi pas grand chose parce que dans le fond, je m'en fous...J'ai toujours détester mes congénères, allez savoir pourquoi....ou du moins toujours eu un regard critique sur mes consoeurs. Trop de social tue le goût du social!

Super AS n'est pas super ou se veut tellement super qu'elle en devient pathétique...Ah mélancolie...(mauvaise BO d'un mauvais film 1997 : Héroïnes, de Gérard Krawczyk)

 

 

En gros qu'est ce qui n'est pas mauvais aujourd'hui?  Mon fils (parce que quand même....), mon mari (ique, quoique..), les copines, un parrain, les potes, les collègues (Ca c'est sûr...), les patientes, le chef, La Maison de...., Norman Mailer, un vieux jazz, la vieille soul, les "je rigole mais c'est nerveux, tu vois" et un tas de trucs mais là on s'en fout autant que moi des autres AS...

Autant dire qu'Iphigénie, ce soir, on l'aura mis de côté et de temps en temps, ca fait du bien...

 

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26 janvier 2011 3 26 /01 /janvier /2011 17:51

Jusqu'où doit on supporter l'insupportable, jusqu'où peut on préserver la douceur câline que l'on revendique, faite de concessions , de rondeurs, de compromis? Quand pouvons nous s'autoriser à dire à un con qu'il est con, à un malhonnête qu'il est malhonnête, à un branleur qu'il est un branleur????

 

En bref, quand pouvons nous cesser de nous excuser de nos colères, quand pouvons nous nous donner l'autorisation d'être aussi con, sadique que l'Autre que l'on ménage, par pure acquis de conscience? Etre égoïste, être bête de temps à autre marque t il un signe d'intelligence?!

 

Que cela soit avec les usagers ou dans la vie, simple civile, l'éthique devrait l'emporter malgré tout, l'idéal déontologique que l'on se donne, pour se supporter soi-même, devrait surpasser toutes les malveillances, contempler à distance ces misérables aspects, pour certainement se donner bonne conscience et se dire toujours à demi-mot "Je suis meilleure que cette médiocrité".

 

Les questions sont multiples: pourquoi tant de malveillances? Mon périmètre de sécurité n'est il pas assez gardé? Suis je donc si naïve pour laisser entrer un loup dans ma bergerie et le regarder dévaster ma prairie, sans broncher, ravalant ma colère, confirmant le fait que "je suis toujours toute seule au monde!!!!!!!!!!!!!!"

 

Mais une bonne colère ca fait du bien car c'est aussi dire à un con que non, on n'est pas aussi con que lui....

 

Alors oui, il est facile et bête à la fois de proclamer que:

 

-Y'en a marre de cette quantité de branleurs qui nous entoure, de ces tas de bien-pensants, enfermés dans leur certitude et leur univers, assainant à coups de phrases ampoulées, aux arguments futiles, leur vérité absurde.

 

-Y'en a marre de cette quantité de pseudos insoumis qui en réclament du système d'aide sociale, de l'économie équitable, de l'égalité des chances et qui sont les premiers à calculer leurs avantages, à faire leurs dossiers, logement social et allocations, pour faire des économies médiocres pour continuer à partir à l'autre bout du monde, contempler la misère des autres, larme à l'oeil et le coeur de travers, parce que c'est plus facile d'y trouver sa place que dans notre société qui marche à l'envers.

 

-Y'en a marre de cette quantité de bourgeois, bohêmes ou bien nés, qui s'enthousiasment de faire plus de trois gosses, en apprenant que la CAF les félicite de baiser suffisamment (et correctement?)

 

-Y'en a marre de ces travailleurs sociaux, plus crades, plus toxicos, alccolos et fous, que la misère dont ils ont la charge, et qui pestent contre le moindre signe de richesse, où leur dire bonjour c'est déjà s'excuser d'avoir l'haleine fraiche.

 

-Y'en a marre de ces illuminés, auto-proclamés artistes, qui détiennent le sens du monde, qui crament leur forfait et leur énergie à déblatérer leur langage informe à des oreilles studieuses, sous prétexte que l'expérience des années leur donne alibi d'assommer les autres.

 

-Y'en a marre des paroles sucrées, des promesses jamais tenues quant toi tu t'échines à les respecter, paroles sucrées noyées sous un tas d'ordures de bonnes intentions affichées.

 

-Y'en a marre des proverbes à la con exprimés et expliqués, parce qu'on ne sait pas s'exprimer soi-même et que l'usage des mots emprunté à l'autre donne une contenance  soi-disante intelligente.

 

-Y'en a marre des faux-semblants, des dérivés de l'humilité bien pensante, des "je suis de gauche et je t'emmerdes" et des "je suis de droite et je t'emmerde aussi", à coups d'articles web médiaticos-scandaleux pour ameuter les foules "Regardez, regardez donc ce scandale" pour faire pâlir les foules que l'injustice c'est vraiment dégeulasseeeeeeee!!!!!!!!

 

Parce que oui, j'en ai marre du manque d'humilité et de délicatesse où le mot "tact" n'existe plus, la pudeur n'est plus de mise et où ça n'arrête pas d'avoir une opinion, un avis, parce qu'il faut PENSER, vous dis-je à défaut de se penser soi-même...

 

A tous, pauvre superAs que je suis, simple citoyenne, svp, ayez un peu plus d'humilité, artistes, bobos ou que sais je, car quand la misère et la grande détresse sont là devant vos yeux, face à vous, plus de proverbes, plus d'idéaux grandioses ou de droits sociaux, quand la souffrance explose, dans la voix d'une tchétchène et de ces enfants malnutris, on ne pense plus, on ressent et là, on se sent vraiment comme une conne.

 

Alors, loin de moi de penser, par le prétexte fallacieux "moi je vois alors je sais mieux que toi" parce que pour le coup, con je le serais aussi (en même temps, pourquoi pas?), loin de moi prétendre avoir un savoir que d'autres n'ont pas, loin de moi l'envie de baratiner à coups de culpabilité mal placées mais il serait peut-être bienvenu que chaque con reste à sa place: ca emmerderait moins le con d' à côté, pour une fois.

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18 janvier 2011 2 18 /01 /janvier /2011 22:56

 

Rompre un long silence imposé et imposant, c'est raté une marche quoique l'on dise, c'est être maladroit et inconstant, se justifiant sans cesse d'une infidélité que l'on ne peut pas éviter...

Exit les justifications et reprenons le court des choses, la plate réalité, la mienne, celle de femmes d'aujourd'hui, silencieuses, étouffées dans l'ombre, reprenons une réalité qui m'éclate à la gueule comme si j'étais une jeune première de 25 ans: la misère, lorsqu'elle est invisible, ne concerne plus personne.

Elle appitoie, elle soulève les débats, les coeurs,  les bras des manifestants quand elle se montre et bien souvent sous son maquillage le plus douteux et ouvre les caisses de l'Etat.

Mais que se passe t il? Où sont elles les voix de la colère, résonnant avec la mienne, sourde, où sont les témoins passifs, muets du massacre auquel nous assistons? Mais ils sont où les travailleurs sociaux???

Dans ma courte carrière, je me suis intéressée aux sans-papiers, à la législation des étrangers, aux toxicomanes, aux malades mentaux, c'est à dire à peu près tout ce qui ne peut pas concerner le dit "Droit commun", c'est à dire aux plus désoeuvrés, aux moins insérés et insérables (par pure définition), à ceux que beaucoup considèrent comme "des causes perdues". On s'implique, on se bat mais quelque part, la chose est sans fin: la révolution ne se fera pas, la colère est là mais l'impuissance et la législation  vous donne raison dans ce vain combat...Et puis les toxicos et les fous ne sont que des fous et des toxicos, habitués à la rue, endurcis par la rue...Ils tiendront encore et encore....Et quoiqu'on dise, y 'a des sous de la Providence pour les toxicos à Paris parce que ca fait désordre dans un quartier de déloger un squatt et de ramasser des pompes par dizaines tous les matins par les éboueurs de la Mairie...Alors oui, y'a des moyens pour la santé publique quand elle concerne l'intérêt de tous: l'ordre public.

Mais le Droit commun vous raconte une autre histoire, un conte d'une toute nature.

Le droit commun, c'est à dire tout dispositif d'aide sociale pour toute personne le nécessitant, ne vous dit  qu'une seule chose: NE VIENS PAS!!

N'aies jamais le malheur d'en avoir besoin: n'aies jamais d'accident de la rue, choisis bien tes amis, aies une bonne famille, un bon travail, de bons revenus, une bonne vie, sans maladie, sans décès, sans accident de la vie, ne t'autorises pas à déprimer ou à démissionner, ne sois pas trop ambitieux, paies bien tes factures, penses bien à faire ta demande HLM à ta majorité, aies une crise d'adolescence modeste, choisis bien ton mari, ni trop indépendant, ni trop violent car si la vie te fais basculer, toi et tes enfants, si un beau jour, tu ne pourras décemment compter que sur toi-même, qu'adviendra t il de toi? La société civique  dans laquelle tu auras tant investi, de ton temps et de ton argent, te sera t elle reconnaissante?

Le Droit commun, c'est toi, c'est moi et nous autres, comme tendus au-dessus d'un précipice et cette brèche béante, si peu accueillante.Jamais il n'aura été tant question de déshumanisation des êtres et des systèmes, jamais je n'ai eu tant honte d'ouvrir  la porte de mon bureau tous les matins avec cette étiquette bleue prétentieuse "Assistante sociale", jamais ce titre n'aura eu si peu de sens, jamais mes silences n'auront été si embarassants en l'absence de solutions pour ses femmes qui ont bien mis souvent au monde leurs bébés, au péril de leur vie. Des heures et des heures de recherche pour un abri stable, temporaire, toujours précaire, des heures pour rien,en fin compte, des heures pour envisager l'inévitable: le recours au 115, Samu Social, saturé lui aussi...

Alors que faire? Que faire lors de ces faces à faces que je redoute tous les jours davantage, à ces demandes récurrentes "Je viens aux nouvelles" et à ces listes de structures que je sollicite, 10, 15, 25 et à des délais improbables que l'on m'annonce, 3,4,6 mois? Que faire sinon dire l'inéxorable vérité, celle qui me fait pâlir de colère et de honte?

Notre Iphigénie, si douloureuse, en est la noire incarnation, notre Iphigénie, immobilisée avec son bébé, qui ne demande qu'à sortir, ne peut pas sortir. Et les autres, encore et encore...leurs bébés sous le bras, quelle est cette société qui ne sait pas les accueillir parce qu'elles sont trop vieilles ou trop fragiles: elles sont juste en trop peut être, tout simplement...

Les chiffres de la démographie sont tombés aujourd'hui: nous sommes 65 millions d'habitants avec un taux de fécondité le plus haut depuis 30 ans et une précarité toujours aussi grandissante. L'âge du 1er enfant récule, recule et aucun dispositif n'est prêt à recevoir ces mères toujours plus nombreuses et trop vieilles, selon les normes de l'administration du Droit Commun.

Quel société offrons nous à ces bébés à venir, condamnés à vivre dans l'insécurité sociale, dès la naissance? Qu'offrons nous comme choix éducatif à ces femmes?

Zéro de conduite pour les années qui s'annoncent , zéro de conduite pour les réformes de ces dernières années, zéro de conduite pour la loi APPARU...

Zéro de conduite car c'est la seule chose qui me reste encore: la rage de mettre des mauvaises notes, comme un prof aigri, pour ne pas déprimé de voir ses connaissances et son ambition fondre comme neige en soleil, face à tels cancres, insolents et ignares....

 

 

 

 

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9 janvier 2011 7 09 /01 /janvier /2011 22:12

 

Au terme d'un si long sommeil de presqu'un an, Ipgigénie s'éveille en douceur et non sans douleur. Elle hésite encore à tendre son visage et sa fille au soleil ou à demeurer dans la nuit, attendant l'inéluctable: la sortie de son bourreau et la perte de son enfant, qu'elle pense si proche...

 

Iphigénie va nous quitter, sa belle enfant sous le bras: elles vont nous quitter ensemble pour partir affronter la vie qui les attend.

Malgré l'investissement et le travail fourni, la sortie souhaitée ne sera pas celle que nous attendions tous, avec et auprès d'elle. La sortie sera chaotique, en attendant meilleure, faite de samu social et d'autres petites choses, pour atténuer le choc de la réalité qui les attend.

Dans ses larmes silencieuses, Iphigénie n'aura jamais été si belle: son regard s'est éclairé, son sourire est moins timide et dans la peur qui l'étreint face à l'avenir, elle redresse malgré tout ses épaules, pour elle et son enfant.

 

La protection juridique est en cours assurée par une avocate, juge aux affaires familiales et des enfants, un lieu protégé est en attente et nous continuerons, fait exceptionnel, à tenir un regard bienveillant durant les semaines à venir.

 

Malgré une attente déraisonnable, le constat est cruel: quelle protection pour toutes les Iphigénies d'aujourd'hui  et demain?

Comment accompagner la culpabilité de ces femmes quand le système  d'aide et ses manquements valident lui-même  ce sentiment?

 

Iphigénie m'a touche, bouleversé car ses yeux tristes, son visage apathique et ses mots en disaient long sur son intelligence et sa sensibilité, dissimulant certainement d'autres douleurs antérieures qu'elle garde cachées en elle-même.

Iphigénie avec ses peurs, ses espoirs et cet amour impossible et destructeur n'était pas une pâle incarnation d'un romantisme désuet, d'une poésie surrannée où l'amour est plus fort que les normes sociales, transcendant la psychée dans une apothéose de sentiments douloureux.

Iphigénie n'est pas le symbole des violences subies par les femmes, ni celui de l'amour impossible. Elle est seulement Iphigénie, pétrie d'ambivalences, de sentiments contradictoires, de quête affective sans limite.

 

Iphigénie est belle et douloureuse, son port de tête est gracieux mais elle n'est pas un personnage fictif, décrit par de douces mélopées syntaxiques. Elle est vivante mais immobilisée par la peur de cet homme maléfique pour elle-même, par cet avenir si incertain qui se dessine.

 

Car même s'il est aisé de plaquer de jolis mots, de jolies images sur ce qu'inspire Iphigénie à mon imaginaire, il n'est souhaitable à personne de connaître son chemin: celui du passé et celui à venir. Il n'est souhaitable à personne de prétendre s'en identifier car cette possibilité ne relèverait que d'une juissance malsaine, d'une outrangeante impudeur.

Mais au delà de toute sa mélancolie, Iphigénie a atteint mon coeur de femme, elle m'a saisit, m'amenant à la rassurer, la protéger avec les armes juridiques dont je disposais.

 

Elle a réveillé en moi une conscience féministe que j'ignorais, bouleversant mes entretiens et mes repères, m'invitant sans cesse à être près d'elle et contre elle, pour mieux la réveiller et l'éveiller face à l'avenir.

 

Comme certains hommes avant elle et comme d'autres femmes après elle, elle m'a donné de ces choses qui font la différence dans ce métier, de cette inégalité d'investissement auquel aucun professionnel n'est exempt mais qui nous donne davantage que les effets limités de notre simple action sociale. 

De ces choses que jamais elle ne saura, au prix de sa souffrance, de ces choses qui feront certainement de moi, une meilleure assistante sociale et une meilleure femme... 

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