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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 21:59

Mon 9ème parallèle est agité de soubresauts et mes murs tremblent quand dans le couloir, tout semble si paisible.

Secouée de l'intérieur où dans le calme apparent d'une après-midi nuageuse, je m'autorise à réfléchir et la vague m'envahit, entraînée par le 9ème et tous ces petits frères.

 

L'héroïne du "Temps de l'amour" revient malgré moi, là où je m'échine à l'éviter, confrontée à un contact que je préfèrerais évincer mais portée par mon obligation de lui communiquer une information: le passage d'un ami, sans nouvelles d'elle, qui est passé au 9ème, inquiet de son silence. Deux mois qu'elle a quitté notre nid, départ au goût de victoire et de revanche où je n'ai pas pu retenir mes larmes devant sa psychologue, pétrie par l'émotion de son destin et d'un avenir qui s'annoncait enfin serein. 

Sa voix est basse, triste.Je m'annonce, elle s'éclaire, lui demande formellement de ses nouvelles, souhaitant un échange court car mes voyages sur ces parallèles voisins me semblent bien inutiles. Sa santé fout le camp: des fils chirurgicaux de son accouchement égarés à droite et à gauche, dans la tyroïde et ailleurs, des perfusions de fer car trop anémiée. Je reçois, stupéfaite, que  mon conte de fée rêvé est encore des allures de cauchemar éveillé. Tremblements d'embarras, le téléphone sitôt raccroché et ma jeune stagiaire qui formule "c'est triste". Interdite, je reste interdite, ne sachant comment je dois recueillir et ressentir cet instant. Mais déjà je balaye d'un autre revers de téléphone cette émotion venant de l'extèrieur que je sens poindre car un autre parallèle me sollicite.

 

Une héroïne, gardée anonyme, non par absence d'intérêt mais par excès de l'indicible: une mère tchétchène, douloureuse, effondrée, le corps sec et musclé, le visage et les mains marquées par une existence qu'on n'ose plus imaginer en Europe occidentale. Une femme violentée, laissée à l'abandon avec ses deux puis ses trois enfants, une famille affamée, des enfants qui n'en sont déjà plus, une femme avec ses trois filles envers et contre tout, une famille dans la survie, une femme qui touche et  bouleverse tant ses larmes sont devenues un râle animal.

Elle est restée au 9ème parallèle durant 3 mois, protégeant ses aînées en les confiant à un foyer. Elle était épuisée, s'affamant, elle est repartie plus sereine: prise en charge globale assurée avec en prime l'un des meilleurs avocats pour sauver sa demande d'asile mise en péril par une succession d'erreurs.

Il y a un mois, elle est sortie.Je l'ai retrouvée une semaine plus tard, pour cette rencontre avec cet avocat dont j'étais si fière, sa fille aînée à son bras, son bébé dans l'autre. Et puis l'interrogatoire...celui d'un avocat qui sait ce qu'il est nécessaire d'entendre, qui questionne, son Iphone à la main, qui demande des précisions et le silence, les réponses évasives, ceux d'une femme qui ne dit pas tout ou qui a simplement oublié pour rendre son quotidien vivable.

La traductrice peine, Il les regarde à peine, se tourne vers moi et me parle d'elle: de ses mains, de ses émotions, de son silence; elle ne dit pas tout. Elle a peur mais pas des soldats russes, son malheur est ailleurs.

 

Alors le tremblement: pas de réexamen  possible de sa demande d'asile déjà refusée. Elle s'écroule silencieusement, nous sortons du bureau, retrouvons son aînée qui la regarde, les yeux plein d'effroi. Dans le hall d'immeuble, elle s'affaisse à terre, je la porte, porte ma main à ses joues, les mots me manquent car la nouvelle est majeure et inconsolable. Je les accompagne du regard s'enfoncer dans la bouche de métro, silhouettes malingres, stupéfaite de ce dernier instant partagé, luttant contre mon propre désespoir que s'il y a un espoir pour raison humanitaire, il est bien lointain. Une dernière image de cette petite fille de 11 ans accrochée à sa mère, portant la poussette et où je tente de repousser l'ultime question: que vont elles devenir?

Alors, en cet après midi calme, lorsqu'un médecin de secteur me contacte pour me signifier l'état d'épuisement de cette héroïne et les inquiétudes qu'elle suscite, je me bats contre ce flash-back en images que l'on m'impose et que j'avais enfoui, loin dans ma mémoire. Je réponds, joue à la professionnelle mais ce cauchemar du passé me prend à la gorge, l'émotion que j'avais amoindrie me saute au coeur. Une réunion de synthèse? Oui, bien sûr...je la redoutais cette demande mais je l'honore, sous ma casquette de superAS.

Téléphone raccroché, je bascule entre réveil nauséabond et agacement d'être interrompu dans les trois exercices de style que je m'échine à réaliser toute cette semaine: trouver des hébergements improbables et accompagner deux placements, l'un contraint et l'autre volontaire, pour une française éparpillée et déboussolée et une ghanéenne abandonnée et pétrie de douleurs.

Et je réalise combien, dans cette atsmosphère apparemment si paisible, tous les parallèles se réjoignent dans un mouvement improbable, une vague de souffrance incontrôlable. Et superAs baisse son couvre-chef, prête à s'agenouiller et à prier les forces obscures.

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23 mai 2011 1 23 /05 /mai /2011 22:20

... du soir au matin, je n'avais plus rien à faire: ni téléphone à décrocher, ni femme à recevoir, ni rapport social à taper, ni placement à réfléchir, ni administration à contacter.

Si un jour, mon fond de commerce tendait à disparaître, que deviendrais-je alors? Si un jour nous attenions cet idéal de l'égalité où la misère s'effacerait peu à peu, quel serait alors mon leitmotiv, si tous les combats n'avaient plus lieu d'exister?

Etrange cynisme où la misère et le besoin me nourrissent au dépend des autres et où leurs disparitions me condamneraient  à la mienne, deviendrais je inutile? Ma liberté cesserait elle là où commencerait elle celle des indigents?

Imaginons une Occident dans un monde sans souffrance, des pays en développement enfin développés, des gens malades enfin soignés, des travailleurs bien payés, des assistés indépendants, des fous bien insérés, des enfants bien élevés, des ados sans paradis artificiels, des parents épanouis, des loyers plafonnés, une agriculture labellisée, une citoyenneté respectée, des religions et des étrangers à égalité...serions nous plus heureux au sein de la Cité si les travailleurs sociaux ou autre corps de métier, n'avaient plus lieu d'exister?

A vouloir soulager la souffrance jour après jour, serions nous soulager de la voir disparaître?

 

Si un jour, la misère ou le besoin devenait une chose exceptionnelle, une maladie rare, je serais assise derrière mon bureau, le téléphone muet, le bureau et le fauteuil vides face moi, la solitude me guetterait et la misère, c'est  moi qui la ressentirais. Internet remplacerait le téléphone, plus de voix traînante de fonctionnaire de la CPAM, de jolies lieux d'hébergement avec de la place 24H/24H remplaceraient les bureaux vides et les parkings souterrains, les hommes violents n'existeraient plus, grâce au permis à point judiciaire (un dépôt de plainte=-1 point).

Dans un joli monde, aurais je une place à prendre?

Je ne pourrais plus baragouiner en anglais face à la misère terrienne mais anglophone. Je n'aurais plus d'ASH à ouvrir car monde parfait n'a pas besoin d' améliorer la législation, pas de mari pervers à éviter, d'enfant à placer, d'hébergement à rechercher...En bref, l'absence de misère me fera rencontrer la mienne. Et après?

 

Et après, deux choix se présenteraient à moi: la reconversion ou la re-naissance du besoin. La reconversion serait limitée: je ne sais raconter que des histoires, hormis la mienne et le champ d'inspiration serait alors devenue limitée, par l'absence de drame individuel et social.

Deuxième possibilité: faire re-naître le besoin et les inégalités pour sauver mon job. Egoïste? Individualiste? Certainement addict, je serais prête à parcourir les rues, créer un site "social meetic", taper aux portes, guetter la porte des commissariats, des hôpitaux pour épier et diagnostiquer le besoin, faire un recueil de données d'un simple regard, me poster devant les écoles pour repérer les gamins un peu agités ou déprimés.

Je dépisterais celui qui n'en a pas besoin pour qu'enfin mon téléphone se remette à sonner et mon fauteuil à vibrer.

Le bonheur des uns ne fera pas mon malheur. Toutes les stratégies seront bonnes et avec l'éthique au derrière.

Une femme célibataire? Je lui dégotte un ancien détenu, passif de violences conjuguales à la clé.

Un étranger bien inséré? Je lui pique ses papiers, passeport et titre de séjour, pour les refaire juste après.

Un locataire sans histoires? Je le transforme en corbeau du voisinage, je braque sa boîte aux lettres, lui pique ses factures et en 6 mois, il est achevé: il pleurera pour me voir.

Des enfants mal élevés à la boulangerie? Je leur monte un dossier béton, fusille la réputation des parents pour leur coller l'aide sociale à l'enfance au cul.

Un toxico stabilisé? J'échange sa méthadone gélule contre un doliprane 1000, histoire de le laisser vérifier par lui-même qu'il n'est plus dépendant.

Et ainsi de suite...avec un cheptel de 5 indigents, je monte un groupe de paroles, crée la connivence, élargit le cercle à leurs amis, leurs familles...petit monde du besoin deviendrait alors grand, le besoin alimentant le besoin, les larmes des uns amenant les consolations des autres...et la clientèle je me la récupère!

Alors non, il n'est pas né le temps où je connaîtrais le chômage... parce que ce satané job, je l'adore!

 

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18 mai 2011 3 18 /05 /mai /2011 22:40

Depuis 3 mois, elle a changé, malgré cette lenteur et ce pas trainant qu'elle conserve, le talon à peine levé, je reconnais le bruit de ses tongs qui glissent sur le sol vinyl.

Elle a 24 ans, déjà maman d'une petite fille de 5 ans, déjà veuve, déjà séropositive, déjà désespérée par cette maladie honteuse dont on meurt tous les jours dans sa ville natale. Nous sommes en 2011 et l'Afrique est figée dans nos années 90. L'époque où le VIH était un spectre, une terreur, où chacun avait une capote dans sa poche le samedi soir,  les bras levés sur le Dance floor, l'époque de la Génération Sida où le plastique ne nous faisait pas fuir mais était l'évidence.

 

A 24 ans, on est déjà une femme en Afrique, mère, épouse et malade mais que devient on en Europe? Une sans-papier, une personne à soigner, une assistée?

Anéantie par le dépistage, elle refuse le traitement: se soigner c'est accepter le virus. Elle n'est pas malade, elle veut seulement travailler, que son fils soit français, avoir des papiers et point barre.

Elle a la mine basse, m'évitant du regard quand j'évoque la maladie et  son avenir : son destin est cruel à entendre, la France prête à l'accueillir que si elle se proclame malade. Triste ironie que l'impossibilité de se soumettre à sa volonté et sentiment nauséabond que la relation d'aide, si chèrement plaquée dans le métier, n'est pas dans le respect de ces désirs.

Alors bon gré, mal gré, il va bien falloir qu'elle l'encaisse cette nouvelle car son fils n'attendra pas 10 ans et moi encore moins, la durée de séjour de l'établissement me colle aux fesses et je n'ai pas le temps de faire la samba avec mon derrière. Mais son mutisme et, ses larmes silencieuses me bouleversent, au carrefour de ce qui est possible et de ce que son désespoir rend impossible. J'essuie moi-même ses sanglots au détour de nos entretiens, ses mains embarassées par cet enfant au visage humidifié par le liquide lacrymal de sa mère.

 

Pas de régularisation sur le territoire, pas d'hébergement stable sans la maladie. Son désespoir me pousse dans mes retranchements, je reste calme, lui répétant entretien après entretien que le droit commun, le truc dedié à tout le monde ne voudra pas d'elle car sans papiers, elle sera reléguée dans la pile située sous le bureau de la secrétaire et non  dessus.

Le temps qui s'écoule semaine après semaine annonce une guerre de stratégie entre elle et moi. Je tiens mes arguments, elle conserve sa voix à peine audible, son regard de biais. Elle veut travailler, faire garder son bébé, avoir un appartement. Je lui propose de confier son bébé à un foyer à sa demande: elle aura le temps dont elle a besoin pour faire ses démarches. Son hésitation, le temps de réflexion qu'elle s'accorde me rassure: elle me donne du crédit, m'écoute et chemine. Elle refusera: j'en suis presque soulagée, honteuse de travailler un placement volontaire dans de telles conditions.

Alors je remonte en selle pour de nouveau évoquer le virus et non la maladie, lui confirmer qu'elle n'est pas malade: elle n'a pas le Sida, elle est sérépositive, nuance...et déployer les dispositifs à saisir: une aide éducative, un appartement thérapeutique, le titre de séjour pour soins...Elle résiste, elle est solide, la gamine de 24 ans qui n'en plus une, butée comme un vieux chêne, solide comme un roc dans cette détresse. 

 

Et puis, une faille, subtile: son fils m'accorde le droit de faire une demande d'appartement thérapeutique. "Pas elle, son fils. "Je la prend au mot: elle, 24 ans et lui, 3 mois, signeront ensemble l'attestion me délivrant ce droit, elle avec hésitation, lui, de sa petite main qui sert le stylo bille et moi qui lui tient le document.

Bon ça c'est fait et après? Je m'en vais solliciter le S.I.A.O, l'une des armes du quinquennat sous l'égide "solidarité", dont chacun va entendre parler en 2012,sous le titre "Faisons le bilan, oubliez le bouclier fiscal et voyez le S.I.A.O et le R.S.A".  

Alors, hier, je me suis lancée, un peu à l'aveugle. dans ce nouveau dispositif que l'on nous présente comme le Grand Soir de la solidarité. J'ai un piston, les coordonnées précieuses d'une responsable de ce truc pour l'hébergement, pas encore mis en place mais qui va prendre le Pouvoir très bientôt;

Echange de mails , elle m' appelle: jeune, dynamique, pleine d'idées, en somme, réjouissante pour la désoeuvrée que je suis. Je réponds du tac au tac mais je sens le coup venir, le flop, la phrase "ca ne va pas être possible". Après la partie "Trucs et astuces", elle y va, concrétise, répond, me donne espoir, prête à appuyer mon dossier là où il faut. Je l'aime: trop longtemps que l'on ne m'avait pas bercé de doux mots. Je suis séduite, sous le charme, trouvant enfin une épaule prête à prendre le relais. Je peine presque à y croire. Une heure plus tard, je reçois un mail: elle a fait le nécessaire, copie du mail à l'appui. J'ose à peine réagir, j'attends de voir.

Mais aujourd'hui, le ciel s'est éclairci annonçant d'éventuels possibles...

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12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 20:25

Dans mes souvenirs, c'était une vaste salle, chacun son fauteuil collé aux murs, à une distance respectable de son voisin. Au centre une table basse minuscule, des litographies africaine 19,99€ pièce, deux ou trois bibelots Maison du Monde, un effort sur la déco pour calfeutrer l'atmosphère  électrique dans cette salle surchauffée: on ouvre les fenêtres, trop de bruit, on ne s'entend plus. On ferme et soudainement, un silence de plomb, géné, les regards à terre. La possibilité de se parler devient trop angoissante.

 

Le chef de service, polo Ralph lauren et pantalon à pinces, nettoie ses chaussures depuis 10 minutes, mèche bien peigné et regard plissé sur le cuir luisant, absent de la voix monocorde et dénuée d'affect de sa confrère: "Elle souffre d'une carence affective grave associée à un trouble abandonnique majeur." Silence. Du regard, la femme qui vient de s'exprimer, col Claudine et dentelles ajourées, cherche l'assentiment, sans succès. "Quand à la problématique familiale on est en droit de l'interroger tout comme sa responsablité sur l'agression sexuelle collective qu'elle a connu".

Réveil brusque de quelques membres de l'assemblée par des échanges de regards furtifs, chacun tentant de trouver chez l'autre la confirmation du sens de ce qu'il vient d'entendre. Mais le silence demeure, plus lourd et plus défiant, sur cette chose molle, enrubannée de rose des pieds à la tête, en cours de validation de son titre de psychiatre.

Le polo Ralph lauren a cessé de frotter ses mocassins et regarde le mur devant lui, les traits crispés: il réfléchit; aux nouveaux appels à projet, à son RDV d'avec le Professeur F, à l'admiration dans le regard des parents d'une Boîte à Bac du 7ème lorsqu'il brillera sur la scène de l'amphi le soir même, à sa liaison extra-conjuguale, au prochain stylo qu'il va s'offrir (en platine?en noyer?), à sa partie de golf du week end avec le Dr G. Les douces mélopées de sa collègue l'encourage à s'évader, comme une jolie berceuse qu'il aime  écouter.

Quant au 3ème membre du serment d' Hyppocrate présent dans la pièce,  tout va bien. Il s'est endormi un peu plus tôt que d'habitude. 

Dans ce silence tonitruant où chacun siffle son café tiède, la stagiaire, seul élément animé des locaux, apparait à la porte.

Jean-Marc est en bas, mal en point.

Le gros bonbon rose persifle, les lèvres fines "On est fermé. Qui lui a ouvert?" cherchant encore du regard l'appui de ses collègues, les yeux brillants.

La stagiaire se justifie maladroitement. Le couperet tombe de la bouche Claudine"Et bien, qu'il attende."

La stagiaire disparait derrière la porte et la sucette rose devient cramoisie, osant un éclat d'impatience derrière son visage de cire "C'est pas possible les stagiaires qui ouvrent la porte. C'est vraiment n'importe quoi, on est mal d'un point de vue de la responsabilité".

Bruits de fesses et de jambes qu se croisent et se décroisent: la gêne devient grandissante: nous n'avons pas tous la même définition du n'importe quoi, visiblement. La stagiaire réapparaît, le teint blème: elle insiste. La chargée d'accueil, psychologue de formation, descend, trop heureuse d'échapper à ce four de ressentiments. L'infirmier, à mi-temps pour problème de dos, reste sur sa chaise. Et la perle nacrée reprend du service.

"Alors, j'en étais où....oui donc j'ai tenté de voir la maman  qui est très soucieuse de sa fille, très inquiète mais qui manifesement a un problème d'alcool depuis qu'elle a perdu son travail..."

 

La porte s'ouvre: apparemment, ca urge, il faudrait du renfort. Personne ne bronche: ni l'infirmier qui a mal à dos, ni le subterfuge " Martine fait de la psychiatrie mais est d'abord généraliste". Super éduc et SuperAs se consultent du regard et se lèvent ensemble pour aller voir ce qui se passe, en bas. 

 

Jean-Marc, le visage blafard, les cheveux en bataille est affalé sur une chaise et mange péniblement un sandwich. Il tient sa demi-baguette  d'une main, les morceaux de tomate tombant à terre et une minute se déroule avant que le pain n'atteigne sa bouche, enre chaque levée de coude et mastication. Le bougre est alcoolique, ex toxico, mais quand même...La stagiaire, blème, tente de le tenir éveillé en lui parlant, lui propose un café: rien n'y fait.

On l'interroge, le questionne mais il s'enfonce progressivement. On distingue seulement des reliquats blanchâtres au coin des lèvres: celui-là est en train de faire une OD (overdose). Il est tend d'aller réveiller les méduses du haut qui joue du bulbe. Ca tarde, personne ne vient. Jean-Marc est en train de nous lâcher, c'est pas possible.

La Barbe à papa débarque, de son pas guindé, les bras croisés et les dossiers sur la poitrine. Elle approche,  penche son buste de son mètre 50 sur le corps allongé de tout son long et affirme, simple regard d'auscultation: "Ah oui, il est mal, il est très mal..." On hésite à lui proposer de palper son poul ou de regarder ses pupilles, on hésite mais ce serait en vain car celle-çi ne pose jamais la main sur un patient. Elle ne les touche que du regard. 

"Je dis à F., l'infirmier de descendre pour qu'il appelle les pompiers. Moi, je retourne en réunion."

L'infirmier clauqui-clauquant descend péniblement. Il s'interroge: les pompiers, le Samu...Ce sera le Samu qui débarque à toute zingue. L'infirmier paralysé s'y perd dans les traitements qu'il a pu prendre, dans les doses...Combien de traitements avait il dans la poche? Le Samu entube le jean-marc in extremis et l'embarque.

 

Au rez de chaussée, le silence est d'émotion. Au 1er étage, il est de plomb.

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8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 23:00

Il y a les putes, les toxicos, les braqueurs, les SDF, les alcoolos, les séropos, les enfants abandonnées ou qui un jour le seront, les dealers, les migrants d'hier et d'aujourd'hui, les expulsés d'hier et de demain, les "j'ai pas un rond, rien à bouffer", les survivants d'un autre monde, des survivants tout court.

Il y a les designers, les artistes aveugles, les cadres d'entreprise, les mères de famille épanouies ou oubliées, les barbies en devenir ou vieillissantes, les couples infidèles, les classes moyennes qui peinent, les ouvriers qui disparaissent, les journalistes qui théorisent, les bourgeois qui s'endorment.

 

Il y a un peu de çi, un peu de ça dans chacun de ces parallèles où l'idéal de l'un efface celui de son voisin, où ce qui est bon et mal pour soi devrait être ce qui est pour l'autre.

Il y a ces carrefours invisibles au centre desquels nous nous situons, ignorants que nous sommes, tous porteurs de la même ignorance.

Car j'ignore qui a le choix, qui ne l'a pas, qui a choisi, qui est victime ou bourreau, qui est soumis ou insoumis, qui a de la croyance ou de la défiance.

Quand ma colère s'apaise, au détour des injustices et des malfaçons de mon 9ème parallèle, le vide m'emporte car soudain, je ne sais plus. A chercher un sens, une raison, un coupable, j'oublierais presque que le monde tourne malgré moi, malgré elles et leurs blessures. Qu'il tournait avant ma naissance, mon diplôme, mes opinions et mes états d'âmes, que les centaines de parallèles qui m'entourent sont prédestinées à me survivre. Que les pierres de marbre que j'estime poser pour des êtres sans importance ne sont que des cristaux de poussière.

 

Mon parrallèle a le numéro 9: N°9 de la rue où je me rend 5 jours par semaine, horaires non spécifiés, heures supplémentaires non payées. Sensation étrange de glisser tous les matins du 8ème au 9ème, où ma perception de la réalité se modifie, sournoise, et devient incandescente.

Au détour d'un échange amical, je l'ai avoué hier, : souvent, je ne réfléchis pas et à la question " ca ne te fais rien le placement de gamins qui ont presque l'âge du tien?", je réponds toujours "non, je n'y pense pas". Regard étonné d'une psychologue en charge d'enfants placés mais plus âgés et propos innocent mais lapidaire "Tu ne peux pas ne pas réfléchir, c'est tout le sens de nos professions"

Dans ce court échange m'apparait une pensée clairvoyante. Je suis l'avant, elle est l'après, comme un chaine de montage automobile. Nous alimentons, moi et mes collègues, ce qui sera bientôt sa productivité à elle, psychologue auprès d'adolescents placés, triste constat que si la logique ouvrière tend à disparaître, elle prédomine dans les sciences humaines.

 

Mon seul propos digne sera de reconnaître que si je ne réfléchis pas, c'est justement pour éviter de m'attarder sur des devenirs qui s'annoncent obscurs quand mon horizon se dessine si limpide, de ne pas regarder les parallèles sur lesquelles elles et leurs bébés devenus grands seront dans 10 ou 15 ans.

 

Je m'ntéresse à elles quand elles arrivent mais je souhaite les oublier dès qu'elles sortent. Victime de ma profession, interface entre l'intérieur et l'extèrieur du 9ème  parallèle, on ne me laisse pas la liberté d'effacer ma mémoire. Je fais des sauts de puce du 9ème au 12ème puis de nouveau du 9ème au 15ème, sans cesse et quand je reviens à mon départ initial, le 8ème, celui qui résume ma vie bien installée, je ne me sens ni là ni ailleurs. Pas vraiment les pieds dans l'axe mais pas vraiment l'esprit désaxé avec comme une furieuse envie de courir, pour me créer un parallèle unique où je serais la seule habitante.

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2 mai 2011 1 02 /05 /mai /2011 22:57

11/09/2001-16H15: SMS 'deux avions viennent de s'écraser à New York: le monde est devenu fou", la promo d'étudiants d'AS est sous le choc et je regagne fébrile pour 17H les ados pour lesquels je fais office de baby sitter. Le plus jeune jette son cartable par terre, allume la télévision et nous contemplons ensemble les images foudroyantes de l'attentat. A moi de répondre à ses questions "Pourquoi ils ont fait ca?" "C'est qui Ben Laden?". Et moi, bien ignarde de ne pouvoir lui répondre parce que j'en sais pas plus que lui: de ce qui se passe, si c'est le début d'une 3ème guerre mondiale, qui est ce barbu sur des images de mauvaises qualités rediffusées en boucle. L'impression oppressante de vivre un instant historique mais défiant l'horreur que peuvent imager nos sociétés contemporaines. Le souvenir que les jours qui ont suivis ont été teintés de ces images trop folles pour être réelles, de ces photos en Une trop brutales pour être regardées. 

 

2/05/2011-7H30: C'est lundi.Je ne suis pas encore passée sous la douche, j'allume la radio et j'entends, dans la confusion de mon demi réveil "Ben Laden", "arrêté", "Pakistan". Quelques dizaines de seconde me suffisent à réaliser ce qui était, avec les années, devenue impensable: Ben Laden n'existe plus, personnage presque fantasmagorique, à force d'apparitions mystérieuses. Dans mon imagination, j'avais déjà réglé son sort: il était mort, desséché dans une grotte,l' insuffisance rénale chronique l'ayant achevé.

 

Et là je me souviens que je n'ai plus 22 ans, que l'auteur du sms est devenu mon mari, que la garcounet à la tête blonde a aujourd'hui le même âge que moi à l'époque, que je ne suis plus étudiante, que je dois réveiller mon propre enfant pour l'école et que le boulot m'attend. 10 ans se sont écoulées.

 

Dans la rue, je m'étonne: pas d'effervescence, de visages soucieux, de pas pressés, de journaux parcourus fébrilement.

La décade du 11 septembre a trouvé sa fin et l'indifférence générale m'étonne, contraste étrange avec le flux ininterrompu des informations. Moment historique dans l'horreur 10 ans auparavant, dénouement sans intérêt où l'unique corps est jetté comme celui d'un chien, irrévocable mépris des américains pour l'auteur de l'ignominie. Mis à part  que cela soient les GI'S, pouvons nous leur reprocher?

 

Fait étrange mais sitôt mon autoradio éteint, j'oublie ce que je viens d'entendre. Je suis même prête pour la rediffusion du soir, images à l'appui si nécessaire, pour que mon cerveau imprime. J'ai pris 10 ans sur les hanches et mes soucis aussi. Et comme je me coltine aussi ceux des autres, il ne me reste plus beaucoup de place pour ceux du monde.

A part quelques mots échangés avec ma comparse de galère, rien, pas un mot. Le World Trade Center a 10 ans, presque 11, et il est déjà tout poussiéreux chez nous autres. Voici  donc déjà venu le temps du mythe contemporain, rangé bien loin dans nos mémoires et que l'on évoquera de façon dépassionné quand les survivants vieilliront et disparaîtront peu à peu.

Etrange sensation de voir la journée se dérouler normalement quand je ne sais plus dans quelle décennie j'évolue. Une visite, deux rendez vous, une réunion, des papotages de bureau et voilà tout. Comme si Ben Laden n'était pas mort, comme si le 11 septembre n'avait jamais eu lieu, comme si la vie qui coulait pour chacun atténuait le passé et  les souvenirs d'une journée que l'on garde tous en mémoire.

Alors quand pour la reddif' en soirée, j'entends les théorisations absurdes d'un complot, d'une manipulation politico-médiatique, je déclare forfait et j'éteins avec cette pensée: les Américains sont  décidemment condamnés à payer le prix des préjugés occasionnés par leur usine Hollywoodienne.

Impression nauséabonde qu'en 2012, je me souviendrais avec la même clarté d'un certain 21 avril, 10 ans aupravant, devant ma télévision, du visage du Front National, de ces 10 minutes hébétée à fixer l'écran que seule la clameur en bas de ma chambre de bonne, place de la Bastille, suffira à interrompre.

Voir devant mes yeux les grands maux de notre histoire contemporaine et me demander ce que signifie le devoir de Mémoire.

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28 avril 2011 4 28 /04 /avril /2011 21:38

Il y a derrière moi un mur blanc écarlate sur lequel les ombres des silhouettes féminines se reflètent, rondes ou fines, leurs ventres se dessinent, forme obus ou dégonflés par l'effort de la naissance.

Le fauteuil bleu à l'assise confortable accueille leurs douceurs, se déformant peu à peu des assauts assassins de leurs corps alourdis.

Il mériterait d'être mieux habité cet espace réduit: senteurs florales et décoration zen seraient alors la bienvenue; un havre de paix pour elles et pour moi dans toute cette douleur. Mais les feuilles dégringolent de toute part, des piles éparses s'entassent, des tasses sales se font oublier, le tiroir a du mal à s'ouvrir et les documents s'échappent de classeurs apparemment bien rangés.

La femme se présente: je calfeutre, dissimule les courriers confidentiels, entasse trois feuilles comme pour cacher ma misère, celle dont j'ai honte, incapable de faire d'un bureau un endroit agréable et intimiste, incapable de leur donner un accueil digne de ce nom. La plupart du temps, elle s'installera  dans le fauteuil bleu, laissant la simple chaise bleue d'à côté vide, celle destinée aux collègues ou aux pères. Le fauteuil est leur trône, les deux bras sur les accoudoirs, les fesses bien enfoncées, nous nous observons à la diagonale.

Mais que nous disons nous? Il est particulier ce temps que je considère comme précieux, davantage qu'elles-mêmes bien souvent, ignorantes et inconscientes du regard que je peux poser sur elles. Ce qui me traverse? Je ne sais plus, tant de choses et si peu à la fois.

Dès que je m'asseois moi-même pour commencer un début que j'ignore et aller sur une fin improbable, mon regard se transforme, changement physique infine que je ressens, similiaire à une entrée sur scène. J'oublie ce que je viens de faire, ce qui me préoccupe, du temps qui passe. Et lorsque le téléphone se prend à sonner, une présence à la porte se faire entendre, c'est comme un bruit vague qui m'interromprait dans un doux rêve et qui selon la qualité de mes onirismes, parviennent à me réveiller définitivement ou à s'éteindre aussitôt par une phrase lapidaire "je rappelle" ou "Un instant!" sur un ton sans appel.

Vous me direz: un dossier CAF, de logement, un formulaire ne sont pas synonymes de rêves éveillés, des démarches préfecture ne sont pas propices  à l'oubli de soi. C'est certainement pour cette même raison que j'en fais si peu, non pas négligence, mais les nécessités se situent ailleurs: accompagner la séparation mère-bébé à venir et les dommages des dispositifs sociaux à venir lorsqu'elles émergent leurs récents désirs dans cette maternité naissante.

Nos voix ricochent sur ces murs blancs et nus, trop souvent la mienne et pas suffisamment la leur. Silences pleins d'une douleur silencieuse, débits de mots trop bruyants quand le mal se fait trop pressant. Et quand soudainement j'étouffe, hoquette par ces flots intarissables de souffrance, ma tête devient lourde comme une nuit sans phase paradoxale, alourdie par des relants d' anxiolytiques. Le réveil s'annonce nécessaire sinon c'est moi qui sombre.

Alors j'abrège, réagite mes membre supèrieurs autour de ce bureau en chène blanc, cherche mon agenda comme un secours vital, redonne rendez vous et me lève de ce fauteuil ergonomique dont je ne perçois plus l'intérêt de son investissement.

Elles sourient, elles pleurent, sonnées comme des boxeurs: une poignée de main, une main sur l'épaule, un mot réconfortant, un propos riant et elles s'en retournent vers leur bébé.

Et moi, incapable de me réasseoir, je cherche une autre présence pour m'apaiser. Je croise le regard de celle qui a frappée quelques instants auparavant, assise sagement à m'attendre, les yeux pleins de crainte ou d'envie. J'hésite, elle me devance, se levant comme pour m'encourager ou me signifier son attente. Elle est là, je suis ailleurs, pleine de ces instants qui viennent de mourrir sur le pas de ma porte. Et son entrée chez moi les étouffera pour donner vie à d'autres mots qui s'éteindront eux-aussi sur ces murs blanchis, comme une danse permanente au temps des années 30.

Le rituel scénique recommence, mes murs s'habillant  jour après jour d'une tapisserie unique et invisible.  

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27 avril 2011 3 27 /04 /avril /2011 22:16

 

(...)

Hey je ne rêve pas je sais quand j'arrêterai,
je vais quitter paris,
je sais après je vais payer pour ça
Je vais payer pour ça(...)

(...)J’ai dépassé les limites aisément, facilement
Ouais je dépasse les limites sans un problème d'éthique


(...)J’ai dépassé les limites aisément largement
Quand je commence, je finis le travail proprement
Je consomme évidemment le plus possible de liquide
Et parfois même du solide bien en chair, bien enrobant (...)

 Je n'avais jamais entendu un coton tige habillé de lumière chanté mais la première fois aura été la bonne: ce n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde. Tandis que Julien baragouine avec des airs de faux dandy"j'ai dépassé les limites" et que la fin du propos se perd sous une musique mécanique au tempo de Bontempi, cette phrase retient toutefois mon attention. "Les limites?" Attends c'est pour moi, tu parles de moi, là...Les limites c'est mon mot préféré, mon ressenti quotidien mais les tiennes quelles sont elles? Ni une, ni deux, je m'en vais explorer la source profonde et cachée de son message.Y'a pas à dire si les mots qui lui viennent sont décidément les mêmes que les miens, ils n'en ont pas le même sens.
Hey je ne rêve pas je sais quand j'arrêterai,
je vais quitter paris,

je sais après je vais payer pour ça
Je vais payer pour ça(...)
Comme dans toute chanson qui désirerait se respecter, on cherche le sens :arrêter et payer pour quoi? la chanson, être  un trader sans scrupules, les drogues, la vie citadine, se reluquer dans la glace?

Quel que soit son dilemme, son mérite seul réside dans le fait qu'il sache quand il arrêtera. Parce qu'au tant quitter Paris risquerait de me coûter cher, d'ennui et d'overdose de verdure, autant savoir quand j'arrêterais de jouer à la SuperAs serait un exploit. J'y pense, j'y rêve de temps à autre mais pour faire quoi? Des aspirations j'en ai des autres, j'y travaille mais qui sont un tantinet égocentrique tout de même... et un peu pâlichonnes, quoiqu'un peu moins épuisantes.

(...)J’ai dépassé les limites aisément, facilement
Ouais je dépasse les limites sans un problème d'éthique

Belle affirmation de soi, c'est déroutant de franchise vu que ses limites sont si mystérieuses qu'elles sont donc sans limites...Exercice de style difficile dans lequel s'est aventuré l'auteur: utiliser un terme et le rendre déclinable à l'infini, sans enrichir le sens initial.

"Facilement, posément", oui sans états d'âme et "sans problème éthique" certainement.

Une  façon polie de dire"Je t'emmerdes, connard" au travers sa portière de bagnole après un carton routier et se barrer sans constat ni descendre de sa voiture. C'est plus élégant et on gagnerait en convivialité si tout le monde faisait un effort de syntaxe comme Julien. "Ethique et limites"? bah oui, je vois...Après quand à imaginer que je peux les dépasser, difficile à dire vu que je ne les connais pas mes limites ou du moins je les jauge au jour le jour.

Capable d'imaginer  un voyage quasi pathologique avec un patient en fin de vie juste pour lui montrer la mer qu'il n'a pas vu depuis 30 ans, c'est dépassé ses limites? Bon, il est mort pendant que je me faisais mon trip "road movie pour toxico mourant avec morphine à gogo" toute seuls dans mon coin, bobo attitude en force "Tu m'as tout appris alors voilà mon cadeau", élan de générosité louche, en écoutant Patti Smith. Mais je suis preneuse de l'éthique de Julien à moins qu'il n'est que la rime facile?

 (...)J’ai dépassé les limites aisément largement
Quand je commence, je finis le travail proprement

Je consomme évidemment le plus possible de liquide
Et parfois même du solide bien en chair, bien enrobant (...)

On aura tous relevé le caractère quasi académique de ses vers par la consonnance  "en", à coups d'adverbes et de participes présents. Au delà de réaffirmer sa liberté d'agir et de parole, nous détenons deux informations essentielles. Julien est un être consciencieux au travail et qui boit plus qu'il ne mange. Alors oui c'est facile d'aborder le texte sous cet angle, me direz-vous mais moi j'ai envie de savoir: c'est quoi son boulot? Il est alcoolique, addict au café et il baise après des nanas avec de larges chassis? Ou alors c'est juste le récit en trois phrases d'une journée bien remplie: boulot, déjeuner et café?Par son talent, Julien m'embrouille l'esprit: dès que j'ai envie d'en savoir plus, je ne saisis plus le sens de ces phrases mises bout à bout. Faire le travail proprement, je sais faire, boire des litres de café  et bouffée  du chocolat enrobé à la praline, je sais faire aussi parce que c'est souvent, justement,quand j'ai dépassé les limites du supportable.Et alors? Ca me rend peut être moins baisable en fin de compte...

Comme la chanson se répète sans fin et tourne en boucle sur les mêmes couplets cités ci-dessus, je m'interroge: du sens , du succès de cette chanson, de la réputation démésurée de Mr Coton tige...Et je ne trouve de réponse que dans le clip, léché et pourléché d'effets en tout genre, de la silhouette longiligne de l'artiste dans ses costumes cigarettes et regrette presque le temps où David Hasseloff s'essayait à chanter, viril et écoeurant de muscles luisants.

Au moins, l'arnaque était plus grossière.

Julien a astucieusement contourné le propos existentiel qui réside dans les limites de chacun et particulièrement des siennes. Quant aux miennes, elles auront juste le temps de s'éveiller un instant, un court moment de 2'17.

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18 avril 2011 1 18 /04 /avril /2011 22:10

Elle habite mon quotidien mais c'est à peine si je la regarde. Lorsque je croise son regard, j'évite de m'attarder:  son corps et ses yeux m'appellent dans une danse lancinante que je refuse de  lui accorder. J'esquive pudiquement ce face à face: une fois, nous nous sommes arrêtées l'une devant l'autre, sans un mot, jeux de miroir étourdissant mais la fièvre et l'étourdissement ont pris mon souffle, fait battre mon coeur en un rituel amoureux et j'ai fléchi sous cet impact, mortelle faiblesse que cette enième esquive.

En 5 ans, nous avons pu échangé à trois reprises. Elle ne prend jamais rendez-vous, s'interpose dans mon quotidien sans s'annoncer et c'est toujours l'esprit et le coeur échevélé que je la quitte. Mais chacune de ses rencontres improbables me laissent entrevoir son chemin parcouru et interroge sans cesse celui à venir.

Malgré ses kilos superflus, en plus ou en moins, elle est chaque fois un peu plus translucide, me donnant à voir sa vie intérieure: le sang affluant à ses centres nerveux, son coeur palpitant, son estomac contracté, son utérus de femme tremblant, son cerveau bouillonnant.

 

  Il y a 5 ans, la première fois, elle a débarqué à l'improviste dans ce bureau si massif que je possédais alors. Emprise aux doutes et à la crainte d'une union "trop unie", prise dans les tourmentes de l'engagement marital, elle ne savait plus: quels étaient ses choix, ses désirs, quels étaient ceux des autres, triste ballade contemporaine qui nous perd, à bâbord ou à tribord,où la direction devient nulle et non avenue.

Dans mon bureau, elle s'y est attardé, m'a fait part de ces tiraillements intérieurs. J'y ai décelé de la culpabilité pour la souffrance qu'une annulation ou une remise en question, au mieux, ferait à sa péripherie mais de cette culpabilité, elle n'a pas pu me l'évoquer à coeur ouvert. La formuler semblait impossible, plaie béante du silence qu'elle s'imposait.

Elle est restée là, quasiment à camper dans ce bureau sans autorisation, me narguant de ce regard perdu, attendant de moi une réponse définitive, une autorisation au pêché que je me serais bien gardée de lui donner. Elle a attendue, son gros paquet d'ennui sous le bras puis elle s'est échappée, envolée pour convoler en juste noces.

C'est à peine si j'ai eu le temps de me rendre compte de son absence.

 

Deux ans plus tard, elle est revenue, toujours dans ce même bureau que j'avais toujours. Le couple était alors devenu une  famille; un enfant s'était ajouté au livret de famille. Son regard m'a dissuadé de la féliciter: sombre, cerné, les yeux rougis et le corps amaigri elle brillait d'une beauté sombre et lunaire, peau blanche et cheveux de jais. Sa venue m'est apparue comme de mauvaise augure. Je me contentais alors de la saluer et l'invitait à s'asseoir pour entendre ce qui l'agitait alors.

Tout l'agitait: son enfant né dans la souffrance, les silences impétueux de son époux, le temps qui passe sans jamais repasser, ses désirs inassouvis, son envie de liberté, ses temps d'enfance...Elle m'a déballé tout ce bazar de couturière, fils entremélés les uns aux autres sans que j'y vois de sens mais balbutiant quand même ses questionnements: est cela que je souhaite?

Elle m'est apparue alors comme une femme déjà vieillissante d'à peine 30 ans, prise dans des carcans dont elle ne savait quoi faire, enchaînée dans une existence qu'elle devinait trop lisse, trop prévisible où la fantaise semblait avoir fait naufrage et où l'impétuosité qui sommeillait en elle, nageait maintenant en eaux troubles.Elle se disait en crise, perdue. Je lui ai simplement conseillé d'en discuter avec son mari afin de renouer ce dialogue improbable.

Elle a semblé satisfaite de ma réponse, soulagée presque de l'annonce d'un renouveau possible.

 

Elle est revenue il y a quelques jours, plus translucide et gonflée de kilos que jamais. Triste, fade, les yeux éteints: l'apathie semblait l'avoir gagnée. Pourtant, à y regarder de plus près, son bilan de ces dernières années s'étaient considérablement amélioré: sa qualité de vie avait augmenté, son projet professionnel prenait forme, ses meilleurs amis étaient restés, les pires avaient déguerpis. Ménage ainsi fait, il aurait été de bon ton qu'elle s'offre à moi un peu plus épanouie. J'entendais déjà les jérémiades et je me voyais tout autant terminer cet entretien  par un poli "je comprends bien, la prochaine fois vous prendrez RDV parce que là, je n'ai pas trop le temps, voyez-vous j'ai une réunion..." Il aurait fallu, j'aurais du lui répondre cela dès que je l'ai entre-aperçue dans la salle d'attente. Misère, je l'ai laissé s'installer et se montrer nue face à moi.

Toujours mariée, j'aurais préféré me contenter de son bilan positiviste, la convaincant même combien ces choses acquises par le mariage et le travail sont choses précieuses à notre époque.J'aurais préféré me cantonner à un examen comptable pour valoriser ce parcours de femme.  J'aurais voulu qu'elle me remercie de mes précieux conseils vieux de deux ans, qu'elle me félicite pour cette réussite qui était un peu mienne.

J'aurais préféré lui asséner toutes ces vérités d'assistante sociale, lui donnant à voir toutes les possibilités qui s'ouvraient alors à elle.

 

J'aurais préféré tout entendre plutôt que ce murmure prononcé d'une voix à peine audible mais qui annonce une révolution à venir: "Je n'ai pas peur de perdre ce que j'ai. Je suis en train de perdre ce que je suis mais même cela, je suis bien la seule à le savoir .Alors que faire?"

Solitude d'une femme dans un beau mariage, solitude d'une mère.

Ma solitude face à ces mots, cette peur et ce désir brutal de la revoir ou de la fuir. La reverrais-je?

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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 19:15

Par défaut d'idéal difficilement concrétisable, on bidouille, on bricole, on asticote nos démarches et nos usagers, on chatouille la loi et le secret, on provoque les institutions et on s'engueule, nous mêmes et les autres.

En gros, on fait la danse du ventre avec nos émotions et celles des autres, du trapèze avec les dispositifs sociaux, on pactise parfois avec le diable...

 Je ne suis pas encartée ni syndiquée.Je manifeste rarement, frileuse des drapeaux et des convictions: j'aime la bière et les merguez mais seule avec mes amis et en famille, j'aime chanter mais pas à tue-tête, j'aime marcher mais en pleine nature, au son des vagues.

 En gros, les manifs c'est sympa mais ca demande trop d'effort pour la bourgeoise que je suis, enfermée dans son confort moderne.

 

Aussi, quand prise dans la tourmente des obligations demandées par la préfecture, j'ai tapé sur Yahoo "RESF", cliquée à plusieurs reprises sur leur site jusqu'à la permanence locale, mon ventre s'est contracté, mon doigt a tremblé, persuadée que cette initiative vaudrait ma mise à mort.

J'ai en tête ces sittings d'il y a quelques années qui ont valu leur succès, leur chaine solidaire pour la cause des enfants de sans-papiers, ces cris et ces agitations militantes promptes à me mettre en colère au même titre que les enfants de Don Quichotte.

Spectatrice de ces évènements médiatiques, active en préfecture, ces effets de manche ne manquaient pas de m'agacer au même titre que parfois les cris d'offraie d'Isabelle Alonso en ces chiennes de garde que les aboiements intempestifs de Bernard Thibault. Alors oui, ces cris sont essentiels et citoyens, défendant nos droits et ceux des usagers mais souvent bien loin d'une réflexion globale et approfondie qui leur permettrait une meilleure légitimité. Ou bien alors le bien fondé du militantisme ne peut il survivre que par manque d'analyse: les deux seraient ils alors incompatibles?

 

Revenons à nos RESF, revenons à nos sans-papiers. Après avoir fait le tour du proprio en visite virtuelle, je confirme mon intérêt pour le produit, au même titre qu'un acheteur, sans possibilité de location ou d'accès à la propriété, va visiter un appart': le coeur noué, abattu d'en arriver là, par défaut, à l'affût de la moindre tentative pour résoudre une situation inextricable. J'envoie un mail au vendeur qui fort de mon intérêt, répond, prêt à me proposer une visite en live, s'il vous plait. Seul hic: elle n'a rien à me vendre mais moi j'ai tout à gagner et à négocier. Autant dire, situation inconfortable pour une SuperAS sans scrupules. et sans moyens.

 

Nous voilà, dans ce face à face où j'ai enterré bien loin mes convictions à l'emporte-pièces, persuadée qu'on a toujours besoin d'un plus petit ou plus grand que soi. Souci: je ne connais pas la taille de mon hôte.

Elle est là devant moi, son badge à la poitrine, de deux générations plus vieilles que moi, militante de la première heure, parcours d'engagée politique.

Devant elle, je me sens jeune, inexpérimentée: j'entends les succès de régularisation du collectif, leurs appuis politiques, leur fonctionnement de réseau. Elle a envie de partager, fière des actions entreprises et petit  à petit, mes serrements de ventre reviennent peu à peu. "Arrestations, blocage à l'aéroport, cabinet du Maire, mobilisation dans l'urgence, communiqué de presse", mes oreilles bourdonnent et de nouveau, à la Géronte, ma tête résonne d'une litanie bruyante : mais qu'allais-je faire dans cette galère?

 

J'ai peu d'espace de négociation: en même temps pourquoi m'en donnerait elle? Elle est déjà en action, réfléchit à mes situations, promptes à la proposition par une ou deux démarches supplémentaires, là où moi j'ai déjà tourné le problème dans tous les sens. Soudainement, je doute: de mes connaissances, de mes actions...Elle semble avoir une solution à mes situations "bloquées" par les obligations préf mais à l'écoute de ses conseils, je réalise: elle n'a rien entendu, rien compris de mes situations; en même temps, cela est il possible autrement? Alors je contre-argumente, soudain regonflée par l'assurance que m'a donné avec les années, ma compère de galère et ses précieux conseils.

 La discussion se prolonge à bâtons rompus, je cherche la brèche mais contrainte de la suivre dans cette boucle infernale, je n'atteins pas le talon d'Achille. Son téléphone sonne: c'est son fils, 19 ans, de retour d'Angleterre. "Oui, mon chéri, ton linge est propre et repassé, sur ton lit, tout bien correctement oui ton chat va bien, je l'ai nourri, oui je serais là demain, devant chez toi, oui devant chez toi, je te dis, mais oui je serais là..Ne t'inquiètes pas. Oui, bisous...Oui, bisous!" Elle raccroche, donnant une explication de texte à ce doux intermède familial.

Passée ce petit intermède, j'enchaîne, m'enfouissant dans la brèche de son flot de paroles interrompues par son fils, présentant mes besoins, hésitant à lui demander franchement du parrainage, embarrassée par mon éducation et mes scrupules.

 

Oh et puis merde, me dis-je! J'ai appris à mendier les institutions depuis un an pourquoi hésiterais-je à mendier une citoyenne, son badge à la poitrine?! Les courbettes me fatiguent, les cafés offerts aussi parce que tout ce que je veux, c'est de l'efficacité: pour moi, pour les femmes, pour les autres. Le reste, quelle importance?!

Mais ca y est, après 90 minutes (la durée moyenne d'un film), elle a fait les liens, me proposant soutien, parrainage ect, ect...

J'entrevois des avantages concrets et perçois encore difficilement les retombées éventuellement négatives car oui certainement, il y en aura: pour  moi, ma légitimité, les femmes...

 

Mais par défaut, je tente une solution non idéale, non professionnelle, un léger goût sucré-amer dans la bouche, un mouchoir sur mes convictions. En situation de rétention d'aller en Préfecture, j'appréhende ma première immersion dans le monde opaque du militantisme et vérifier  enfin si revoir ses prétentions originelles est signe d'intelligence ou d'obscurantisme.  Prochain rendez-vous en Mai: pour patienter, on partage une clope sur le trottoir. Voilà c'est parti, j'ai pactisé avec une entité non identifiée.

 

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