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30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 23:04

Au terme de son 1er entretien, la psychologue a suggère une orientation vers une consultation spécialisée pour les personnes exilées, victimes de violences dans leur pays d'origine.

 

Je connaissais le dossier, j'en savais les grandes lignes, un vague souvenir sur une demande d'admission datant de plusieurs semaines.

Elle s'est présentée a moi, timide et souriante pour un rendez vous que je lui ai donne pour le lendemain. Elle etait a l'heure, son solide gaillard d'un mois et demi dans les bras. Elle a juste dit qu'elle etait triste, fatiguée, qu'elle dormait mal. Je lui ai seulement demande pourquoi elle etait la, d'ou elle venait, pourquoi elle avait quitte le Congo.

Elle a moins souri, a baisse les yeux pour me dire que son Pere, militaire, etait membre de la force armée contre le président en place et qu'ils étaient venus, une nuit, pour les tuer elle, ses frères et ses parents. Ils ont fait leur sale besogne, l'ont violée, laissee pour morte avec quelques coups de couteau faits ci et la puis sont repartis. Elle a été emmené a l'hôpital et puis son silence....je l'invite a ne pas poursuivre, je ne sais plus moi meme ce que je souhaiterais entendre, je me souviens seulement que je suis assistante sociale.

Mais elle ne s'arrête pas, elle est déjà partie sur un territoire que je ne connais que par les mots des autres. Elle a été accueillie par son grand oncle qui a pris son plaisir avec elle, bien souvent la nuit sans la prévenir. Elle dit viol, je pense encore, je ne suis plus, son bebe couvrant les mots de sa mere par un babillage incessant, envahissant.

Elle a rencontre une femme qui lui a fait faire kinghasa/Abidjan en vol regulier. Un passeport? Elle ne sait pas, elle ne l'a jamais vu mais oui sans doute en avait elle un pour passer les douanes françaises. Elle a passe sa 1ère nuit dans un hôtel sordide avec cette femme si mystérieuse, une nuit avant de s'entendre dire "maintenant débrouilles toi, je repars".

Elle a cherche des congolais, s'est faite hébergée, nourrie puis elle a commence à sombrer avant d'aller consulter pour dire " tout ce qui me passait dans la tête". Elle a rencontre un congolais, ils ont fait du sexe, comme elle dit et elle a été enceinte. Comme ça, tout simplement.

L'assistante sociale de la maternité a faite son AME, le psychiatre lui a donne un traitement et la voici, devant moi, a ne rien demander, juste dire qu'elle dort mal et qu'elle fait des cauchemars.

Je lui demande si elle sait ce a quoi sert une juriste. Non. Si elle connait le droit d'asile. Non. Le droit. Non.Un avocat. Non plus.

 

Les philosophes me seraient peut etre d'un grand secours la ,maintenant tout de suite, pour donner du sens au mot justice mais les références me manquent. Je ne veux pas laisser place au silence...

 

Et si le président de la république française décidait que les assistantes étaient des criminelles, au risque d'aller en prison? Que ferais je? Je pourrais rester dans mon pays et me battre ou partir pour faire ma vie dans un autre pays au quel cas je devrais m'expliquer, donner les raisons de ce départ.

 

Voila l'exemple risible et médiocre que je lui donne pour illustrer le principe du droit d'asile...et me permettre de dérouler le travail que nous allons tenter de faire ensemble. Mais déjà je vois son regard vaciller et se perdre quand j'évoque le récit, les détails, la mise a nu...et ses larmes qu'elle contient.

J'ai dépasse une limite, j'ai le malaise, je vais trop vite, je suis trop assistante sociale, je me fais peur moi meme.

Deux pas en arrière pour lui donner du temps, un autre rendez vous avec moi et la juriste pour accompagner les chocs a venir, un peu de vêtements pour s'occuper d'elle...

Je ne pense plus a une consultation spécialisée. Je suis accrochée a cœur.

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5 mars 2012 1 05 /03 /mars /2012 22:03

Il y en a trop. Trop de femmes, de visages hagards, de frustration à satisfaire, de violence rentrée, de tendresse dissimulée, d'impossibilité à réaliser, de sens comun à porter, de convictions à défendre, de certitude à faire taire, de nuits hantées...

Il y en a trop de ces femmes éprises par leurs bébés, aveuglées par leur idéal, trop de ces femmes qui se sont perdues au 9ème parallèle pour en revenir, seules ou en colère.

Elles ont leur conviction, j'ai la mienne, ballotée par celles des autres constamment. Où pourrions nous aller sinon nous échouer en terre hostile, moi prise dans des cauchemars sans fin, elles laissées à l'abandon et crevées de solitude?

 

Elle a la gueule de travers, un cul immense, des cheveux bicolores, ses yeux dissimulés derrière des pare-chocs en verre.  Elle ne parle pas. Elle aboie, emmerde le monde avec quelques convenances sociales "merci, au revoir", claque les portes. Je peine à imaginer que c'est une jeune femme de 22 ans et pas un gars de 20 piges.

Elle n'est jamais contente, sourit seulement à son gosse, retient ses larmes, les yeux humides les cache et ne les avoue jamais. Elle gueule quand elle est triste.

 

Elle a cachée son mode  d'emploi, s'est transformée en labyrinthe par je ne sais quels assauts de la vie, se voudrait invisible à la sensibilité de l'autre mais l'appelle sans cesse, en gueulant constamment. Elle en peut plus et moi je n'en puis plus d'entendre tant d'insanités de sa bouche, rendant sourd et aveugle mon entourage professionnel.

 

Cette nana est primaire, pudique, séductrice, tendre comme jamais sous ses airs de bonhomme, fine et perspicace. Elle a trop bouffé à la soupe populaire pour qu'on lui en refile d'office. Elle se fout de la condescendance, de l'empathie. Elle est brute, un diamant non taillé recouvert de poussière. Elle lit en nous bien mieux que nous en elle.

C'est une mère tendre, aimante, une pouilleuse de la vie, enfant placée très jeune, une carapace de scarabée, prête à piquer, une écorchée dissimulée.

Et parce qu'elle est tout cela à la fois, amoureuse idiote d'un paumé alccolique qu'elle attend heure après heure, sa destinée est de finir dans un hôtel, destin de SDF qu'elle cumule depuis 4 ans, comme si déjà à 22 ans, plus d'autre choix n'était possible.

 

Chose rare mais je sais que nous l'enterrons, comme bien d'autres, pour la énième fois. Il y a leur tout puissance d'imaginer qu'elle ne peut rien accepter, ni là ni ailleurs. Et il y a la mienne, convaincue comme jamais que ca se tente, touchée par cette reconnaissance discrète qu'elle sait signifier, atteinte en plein coeur par son élan maternel et ses confidences murmurées.

 

J'ai envie de lui dire de la fermer, de demander de l'aide, histoire que ça les mette en veilleuse et que tout ce petit monde se convainc par soi-même que non, ce n'est pas vain. Mais ce serait peine perdue. En même temps de quoi a t elle besoin? Je n'en sais plus rien moi-même.

 

Je sais juste qu'elle rend mon coeur lourd. Je sais juste qu'elle veut se sentir bien avec son fils. Je sais déjà qu'elle n'y croit plus à son couple de bons parents d'avec son mec. Je sais qu'elle ne saura pas se taire: le virage est pris, elle ne reviendra pas en arrière.

Je sais seulement qu'en fin de semaine, je pars en vacances...

 

 

 

 

 

 

 

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17 février 2012 5 17 /02 /février /2012 18:04

Hier les lauriers, la légion d'honneur prix spécial pour travailleur social. Aujourd'hui les oeufs, les tomates, la boue et l'amertume.

 

Je me souviens des exploits, des miracles, des instants de poésie, de ce que j'envoie valdinguer d'un coup de pied, de mes bras d'honneur à la fatalité, des virages pris à 150 à l'heure, des glissières de sécurité que je frôle, des lignes blanches que je suis tentée de prendre. Je me souviens à m'en saoûler du pouvoir que je m'octroie, toute puissante, le pied enfoncé sur l'accélérateur, à zigzaguer les poids lourds et les obstacles sur ma route.

Je file, indifférente aux corps sur lesquels je roule, au sang qui éclabousse mon pare-choc, aux victimes de ma traversée infernale, à la terreur que je sème, aux passagères que je largue en plein désert, par soucis d'économie d'essence.

J'ai une bombe sous mon capot, temps minuté prêt à me péter à la gueule. Mais je les embarque dans ce bus piégé, conductrice consciencieuse, arrêt tous les 2 KM, pour toutes ses passagères. Je les devine, ces femmes douces et pleines d'espoir, qui sauront me  cajôler ou me faire rire, aux ressources cachées, celles qui me valorisent, m'encouragent à aller au terme de notre course, qui flattent mon courage. Mais d'autres tergiversent devant la porte battante, hésitent à monter, préfère aller au snack de la nationale, se barrent en courant ou se cachent dans les fossés. Mais j'ai pas le temps d'écouter leur désirs, leurs envies et leurs hésitations.

Alors je vais les chercher, les tire par la manche, monte le ton en vain. Mais j'abandonne, prête à en sacrifier quelques-unes pour sauver les autres, prête à les laisser se dessécher au soleil. Et notre course folle reprend jusqu' à une aire de repos ombragée où les plus vaillantes et les plus décidées pourront se reposer et moi, dormir dans ma cahute d'un sommeil agité, au son du tic tac de l'horloge.

 

Je m'auto-congratule pour rentrer chez moi, repue et satisfaite des kilomètres quotidiens absorbés, portée par un sentiment d'utilité qui efface les échecs, nettoie le sang de mes mains, les négligences, l'absence de conscience professionnelle, la prise de conscience tout court.

Jour après jour, je taille la route, le regard vitreux, au bouton poussoir pour ouverture et fermeture des portes, au bruit lancinant du bus au démarrage, aux chocs sous mes roues et au bruit mou des corps. Je ne pense qu'à mes passagères, assises sagement derrière moi, leurs gamins sous le bras. J'ai déjà oublié le visage  sur lequel ma porte s'est refermé, presque soulagée de ne pas être en surchage pour ne pas ralentir ma vitesse moyenne.

Mais je le reverrais ce visage au tour suivant. J'éviterais soigneusement son regard, j'attendrais quelques minutes de plus, je lui dirais de façon pressante "Montes, mais montes bon sang!." Mais elle hésitera encore, quelques instants de trop et je ferais vrombir de nouveau le moteur pour être à l'heure sur l'horaire.

Dans le rétroviseur, je verrais son ombre s'éloigner mais qu'importe.

C'est sûr que je souhaiterai qu'elle monte au prochain tour, flattant ainsi ma course, mon courage et mon salaire.

C'est sûr que je serais tentée de griller son arrêt pour ne pas croiser son regard et l'avenir que j'y entrevoie. C'est sûr que je redouterais qu'elle monte car j'aurais déjà son sang invisible sur mes mains.

C'est sûr que je préfererais définitivement l'oublier et m'offrir une déviation à travers champs.

 

Car la négligente, la coupable ne sera pas cette fois la retardataire et l'insoumise mais la soumise que je suis, les pieds collés à un bus qui n'a rien d'humanitaire.

 

 

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7 février 2012 2 07 /02 /février /2012 21:37

....j'ai une grande gueule et point barre. Ce soir, je suis épuisée par le froid et des tas de gens le sont, emmitouflés chez eux, devant la télé, couchés sous la couette, grelottant dans leurs voitures, épuisés de se réfugier aux Urgences, s'abritant du froid. Des tas d'appartement sont vides, des pièces immenses restent désertes, comme cette chambre de mon appartement avec son futon déplié et ses draps froids. Ce soir, j'ai une furieuse envie de prendre ma bagnole et d'aller aux Urgences de l'hôpital le plus proche, de prendre par la main la mère que je trouverais avec son gamin aux traits tirés et lui ouvrir la porte de cette chambre pour lui démontrer que la chaleur pour quelques heures n'est pas un luxe mais une évidence.

Mais j'ai que de la gueule: j'ai faim toute la journée, le froid me taraude l'estomac, je ne pense qu'à bouffer et chaque aliment que j'ingère réveille cette foutue culpabilité judéo-chrétienne que j'ai mis tant d'années à faire taire. Et après? Et demain? Et le surlendemain, que ferais-je? Devrais-je seulement y penser ou laisser mon coeur, dans un mouvement romantique et sucré, s'exprimer, quitte à ce qu'il devienne amer? Ne devrais-je pas me consoler et me raisonner, pour celles qui sont bien au chaud au 9ème parallèle et que l'on menace d'envoyer au 115 à -10° pour satisfaire les demandes en attente quand le pays est si figé par le froid, les structures accueillant jusqu'à plus soif, les écoutants du Samu Social désespérés par eux-mêmes et leur réponses? Devrais-je rire du nombrilisme du 9ème parallèle qui préfère ignorer la vanité de son désir, imaginant que le froid s'arrête sur le trottoir de sa porte d'entrée par la douceur de son chauffage, que par - 10°, personne ne connait la crise et que ca va coûter une fortune en frais médicaux au pays, serment d'Hippocrate oblige?

 

Que ferais-je demain matin d'une mère avec un enfant? Je leur offrirais du lait chocolaté et des céréales, une douche et je partirais au travail ou aurais-je le droit à un congé exceptionnel sans solde pour la journée de la Solidarité que je choisirais alors? Pourrais je me satisfaire du dénuement d'une femme pour lui faire confiance en lui confiant mon confort de bourgeoise et son matériel? Ou bien, devrais je lui dire de dégager à 8H du matin de mon futon avec son mioche épuisé et de revenir à 19H ce soir?

Accepterais-je de pratiquer l'impensable: arbitrer une évidence, imposer des contraintes inenvisageables?

 

Je ne lui poserais pas de questions, je lui donnerais seulement, loin de la soupe de l'assistante sociale, un lit et un peu à manger, de l'eau chaude et des fringues pour son gosse. Je ne lui imposerais rien, je ne m'imposerais pas de lui poser des questions, ni de l'écouter, ni de lui filer des adresses et le lendemain, au réveil, je souhaiterais certainement dans un demi-sommeil qu'ils soient déjà partis pour ne pas me poser cette question: Et maintenant, qu'allons nous faire?

Mais je sais seulement que ce soir, je devrais arrêter d'écrire ces considérations de la petite bourgeoise culpabilisée que nous avons pour beaucoup et enfourcher ma Twingo pour les sauver et stopper net mes questions.

Mais non, j'irais me coucher, dormant un peu moins bien que la nuit précédente afin déviter le lendemain. Et attendre impatiemment que ce lit dès demain soir soit habité par un ami moins désoeuvré, qui retournera chez lui le prochain matin mais fera taire, malgré lui, tous les possibles qui s'offraient à moi cette nuit.

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15 janvier 2012 7 15 /01 /janvier /2012 23:48

L'orage gronde au dessus du 9ème parallèle et le frog épais plane depuis des jours, obturant les contours des murs du couloir. Je plisse les yeux à chacun de mes pas, pince la bouche à chaque rencontre impromptue, tentant d'éviter les pièges silencieux, les trous que je devine et qui parsèment mon parcours, les mains malveillantes qui me frôlent.

C'est la nuit permanente, malgré l'hiver qui tarde à arriver, et le danger est niché derrière chaque porte, chaque question que j'évince. J'ai le regard à terre, le coeur tremblant, mes jambes se dérobent sous moi dès que l'on m'adresse la parole, j'aspire l'air avant de prendre le téléphone. Ma porte reste fermée, j'ai mal au dos dès 11Hrs le matin et je contemple les coordonnées de mon médecin traitant, hésitante à l'appeler pour lui quémender un arrêt maladie de 15 jours, hésitante par peur de ne jamais pouvoir revenir.

Et puis, elle s'annonce dans la voix de la secrétaire. Une visite impromptue d'une ancienne héroïne de ce parrallèle qui secoue mes bases, me donne mal au ventre et déchire mes rêves nocturnes.

 

-"Elle est comment?

-Comment ça?

-Bah ça a l'air d'aller?

-Oui, oui, on dirait"

-Dis lui de monter. Je suis dispo."

 

Plusieurs mois que je pensais à elle, régulièrement. J'ai sorti son dossier il y a trois mois pour lui téléphoner, il est toujours là sous la pile, resté inerte. Je suis inquiète de sa venue, inquiète de mon état pour la recevoir mais j'ai pris mes précautions par téléphone : oublier l'accueil inconditionnel, je m'autorise à filtrer.

C'est l'histoire d'un épisode précédent, d'une jeune peule de Guinée traquée, deux grands yeux noirs silencieux, apeurés et défiants d'une silhouette agile et longue, de fesses bombées, d'une histoire jamais racontée et jettée comme une bombe un an plus tard, d'une psychologue à mes côtés bouleversée, d'un exil forcé dans la nuit, et de moi, bourrée jusqu'à la gueule 4 hrs plus tard. De larmes bouleversantes, d'une silencieuse dans le service que personne ne s'en souvient, d'un duo magistral avec une psychologue, d'une sortie qui nous a fait mal, de sa tête relevée, plus défiante que jamais, emmurée dans sa solitude et son courage de non-dits et nous à terre, prêtes à nous agenouiller.

On a repensé à elle bien souvent, jamais inquiètes, maitrisant l'art de la survie. On aurait voulu des nouvelles et aujourd'hui elle est là, prête à m'en donner. Mais l'orage demeure et je crains son apparition au détour du couloir. J'ouvre ma porte pour me donner du courage: on ne fait pas de visites de convenance à l'assistante sociale.

 

Et elle apparait, plus jolie et souriante que jamais. Son regard si sombre jadis brille de joie et d'émotion. J'ai l'élan, le tonnerre s'éloigne. Je suis avec elle. Je l'embrasse, elle me souhaite une bonne année. Elle est venue pour cela. Son petit garçon fait ses premiers pas, elle va bien. Elle a déménagé, vit dans un centre pour demandeur d'asile, elle attend la réponse de la préfecture mais qu'importe...elle est malade alors exil ou pas, elle l'aura son titre de séjour. Elle n'est plus sauvage ni traquée. Elle est bien, jeune fille de son temps prête à embrasser l'avenir. Elle me dis juste que j'étais gentille, qu'elle reviendra donner de ses nouvelles, qu'elle pense aussi à la psychologue et elle repart, l'émotion dans le regard, miroir de la mienne.

 

Je referme la porte derrière elle, emprisonnant mes larmes dans mon réduit de bureau. Mes courants chauds ont rencontré mon courant d'air froid et l'orage éclate, incapable de refreiner mes larmes, embarquée dans des sanglots hocquetants de peine et de joie. Par la fenêtre, le soleil est rayonnant et envahi mon espace de serial social.

 

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5 janvier 2012 4 05 /01 /janvier /2012 22:17

La 607 grise métallisée aux vitres fumées attend devant la porte. Le chauffeur lit "Le Parisien" semble t il et j'espère secrètement qu'il en a d'autres dans sa boîte à gants, "Le courrier international" ou "Le monde " étant plus propices pour égrener ce fastidieux boulot habité par l'attente.

Cette visite de Mme la Ministre est une case de plus dans ce parcours de petits chevaux, sautant chaque jour d'une visite ça et là, similaire à son prédecesseur, même couleur, même saveur, tentant de distancer un concurrent qui pourrait la rattraper et la faire sauter pour un retour au paddock, tournant en rond mais convaincue par la grâce de sa course qui la ferait favorite et exclusive.

 

Il y a 3 semaines, je l'ai entendu se faire huer lors d'un colloque réunissant les professionnels de l'enfance alors qu'elle alignait les grandes lignes de la politique à la famille qu'elle défend. Mais je me suis outrée avant tout de celui qui doit être payer grassement à la conseiller. L'envoyer affronter une meute de plus de 500 personnes votant essentiellement à gauche avec un discours si consensuel, répété sans doute des dizaines de fois par trimestre, c'était indécent. Curieusement, j'ai repensé au Discours de Dakar, malgré moi et au mauvais gôut qui prédomine dans les cabinets ministériels.

Mais à l'écran , c'était une belle femme et j'étais curieuse d'observer sa féminité de plus près et de constater par moi-même que notre président a le goût des belles femmes, exceptées Nadine et Roselyne qui boxent hors catégorie.

On lui reconnait son goût de la discrétion: 1 voiture, 1 chef de cabinet, 1 garde du corps, 1 journaliste et Elle. Discrétion ou indifférence, elle ne déplace pas les foules ou cela a-il déjà une odeur de fin de règne?

Blague à part, elle arrive à dire qu'elle a eu 7 grossesses et 4 enfants et que les allocs'  lui permettaient de partir au ski avec ses gosses. Mettons ça sur le compte de la naïveté et ravalons notre salive car un ministre ou futur ministre ne peut de toute façon décemment pas savoir à quoi servent les allocations familiales. C'est un non-sens absolu, une confusions des genres. Excusons là et continuons la visite.

C'est le temps de la table ronde, professionnels et patientes, quelques bébés, l'heure du grand oral.

A un mètre de distance, je peux l'observer à loisir et confirmer aisément qu'il a bon goût le coquin. Tailleur joliment coupé, une grosse broche doré sans ostentation, un visage avec du caractère, un regard vif, elle a de jolies jambes gansées de noirs. Elle porte la cinquantaine, haute et belle, un brushing et un maquillage élégant, cette femme a une certaine classe nourrie par sa propre classe, au même titre que mes baskets rafistolées qui annonceraient presque mon origine sociale au premier passant.

Elle questionne, elle écoute un peu et elle répond beaucoup. Personne n'ose manger une viennoiserie offerte pour l'occasion, on s'autorise un discret sucage de café dans de vraies tasses qu'on ose à peine déposer par peur du tintement.

C'est à la fois formel et complètement décalé que je me sens comme dans une réunion de synthèse mal ficelée avec des partenaires ignorant leur sujet mais tentant de fourguer leur dernière recherche, leur dernière innovation pour combler le vide de leurs connaissances.

Quelqu'un amène le sujet des moyens pour garantir une continuité cohérente au travail que l'on tente de mener. On prononce le mot "sortie", on me montre de la main, j'entends "il n'y pas les moyens, on a beaucoup de mal à faire des sorties de qualité", je pense "Ah bon, Tu veux qu'on fasse la liste?" et on m'invite à parler de la suite, de la sortie sur laquelle tout le monde s'insurge comme si c'était une plaie béante  quand moi je me réjouis de constater, contre toute attente, que je ne connais pas encore la crise par je ne sais quel miracle.

Aujourd'hui, je n'ai pas joué mon rôle d'assistante sociale engagée, colérique, la bouche dure et le mot sec. Il y aurait eu trop à dire, de la politique d'immigration à la loi DALO, aux baisses de subvention sur l'hébergement. La secrétaire d'état n'aurait pas suffit. Il aurait fallu le Conseil des Ministres tout entier.

Et surtout hors de question d'entretenir le cliché professionnel qui nous colle à la peau. Soyons Nouvelle vague, chic et élégante dans le propos, innovons le discours: rénovons l'image de l'assistante sociale! Rénovons l'UMP!Ahahaha!

Et nous voilà parties dans un échange d'une dizaine de minutes sur les mutations de la société et la lenteur de notre système de protection sociale à se réformer à son rythme, exemples à l'appui, des politiques départementales inégales quant à la protection de l'enfance, des moyens existants inadéquats et forcément insuffisants aux besoins, des bienfaits de l'autorité parentale partagée et de l'absence d'informations quant à son cadre législatif. Un échange tenu et cordial, dont j'ai simplement apprécié la longueur, sans plus mais qui m'a permis simplement de vérifier que désormais l'élégance féminine ne m'effrayait plus.

J'épargne les grandes lignes de ses propos, confirmant qu'un politique n'entend qu'un seul mot pour mieux rébondir dessus et nous sortir inexorablement sur quoi il a planché ses derniers temps, quel qu'en soit le goût ou la couleur, agrémenté superficiellement d'un additif pour unifier le tout.

 

Jeux de mots, jeu d'écoute et jeux de dupes. A ton tour, relances le dé, case suivante!

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26 décembre 2011 1 26 /12 /décembre /2011 22:46

Lendemain de fêtes, j'ai la gueule de bois. Le service est désert, je crois même qu'il est vide, fermé pour dysfonctionnement grave ou épidémie de gastro, je ne serais pas étonnée. Le sapin est desséché et les branches tombantes, sa seule présence m'apparait inconvenante et déplacée dans mes yeux bouffis.

 

Il y a la tristesse des solitaires, des abandonnés la veille de Noël et il y a la mienne, que je traine en ce jour rayonnant de vacances scolaires où ma solitude annuelle me saute à la gorge, abandonnée et livrée à moi-même,  à mon bordel, de ses feuilles en pagaille, de ces post it qui s'amoncellent, de cette pyramide dorée et chocolatée qui me nargue dès 9H30 le matin.

Je me plonge dans mes post it, les courriers non envoyés, les patientes qui se présentent timidement, presque étonnées de me voir là, prête à les accueillir quoique je fasse. Gueule de bois ou pas, je semble avoir retrouvée les bonnes convenances, le sens de l'accueil inconditionnel, les bras grands ouverts. Je dois avoir un élan de générosité, voici mon cadeau de fin d'année. Si elles savaient que je compte sur elles pour me réveiller et me donner envie de rester jusqu'à 19H ce soir. Si elles savaient qu'elles ne sont qu'un prétexte pour ne pas regarder cette boite dans mon dos et me permettre de tirer jusqu'au déjeûner, sans y avoir eu recours.

Ma technique fonctionne: je sors le ventre vide de mon bureau mais agacée par ces mouches intempestives qui volètent autour de mes cheveux. Le creux dans mon ventre annonce déjà ma crainte du jour: la fameuse réunion du lundi, d'après le déjeûner que j'ai appris à aimer et désaimer. De nouveau, la paresse m'envahit et je sais, avant même d'avoir entamée mon entrée aux relents de restes de la semaine dernière, sous-effectif oblige, que je goberais mon gros cachet miracle dans une lampée de café pour supporter de m'enfermer avec tous ces cadres autour de moi.

Mais parce que j'ai le sens du partage et que j'y vois une expérience pour mon exercice de style sur la sociologie des organisations, j'amène la grosse boîte avec moi et je l'installe au milieu de la table, histoire de voir si au moins le chocolat, on arrive à se le partager, sans arrières pensées.

On la contemple, presque timidement, j'entends les "oserais-je ", "oserais-je pas", on s'installe mais j'introduis les joueurs en gobant un d'entrée de jeu, geste réactionnel et défensif à ce que je redoute et qui va venir, pernicieusement.

Et c'est partie pour le sujet de cette réunion hebdomadaire, une sorte de Devoir Sur Table grandeur nature et 15 ans trop tard où l'on passe en revue l'avancée du projet de sortie de chaque patiente dont je ne suis pas officiellement seule responsable et actrice mais où je dois faire des figures imposées ou libres, selon l'humeur de celui qui la mène, président du jury, implacable et sanguinaire. J'ai appris à étioler les arguments, à dire je ne sais pas quand je sais très bien, à ne plus argumenter ni à expliquer. J'ai compris que mes explications de texte n'étaient que de la paraphrase ou des envolées lyriques qui embarrassaient mon auditoire. Je demeure dans ce rôle de technicienne simple qu'on me demande d'endosser, à ne pas réfléchir ni à composer, ne plus être virtuose mais une simple tourneuse de pages. Pourtant on me demande de déchiffrer ma partition et celle des autres, de rendre des comptes, de faire du par coeur et d'analyser mais non, définitivement non, je deviens une tourneuse de pages. J'ai comme même droit à deux questions pertinentes "C'est quoi une IP?" C'est quoi une A.., euh..E..M, euh..O??

Passons, passons, je m'abstiens, faisant des phrases de dix mots à peine, ravalant mon ressenti de ne devenir qu'un pantin articulé dont on se satisfait.

Alors c'est mou, dénué de toute substance et les mains plongent une à une dans la pyramide monochrome, hésitant entre celui du sommet ou ceux du socle, pour se donner une consistance de ne pas tousser mais de machouiller en concert. C'est rapide, sans frioritures, ca répète "je sais, je sais", ca anhile d'autant plus mon désir. Je m'enfonce et repart, ma boîte sous le bras.

Le cours de la journée reprend où je m'échigne sur ce signalement que l'on m'a abandonné, comme une chose évidente.

Et puis, je la croise, un peu par hasard, en sortant prendre l'air. J'ai un cadeau pour elle, je l'avais presque oublié." Montez, montez" lui dis je.

Elle arrive 5 minutes plus tard, ses deux filles sous le bras, 2 mois et 6 ans. Je l'aime bien cette gamine, elle est vivante, elle est chaleureuse mais je suis prise de court, là.

Alors j'explique à sa maman qu'il y a peut être une maison, là, pas loin qui l'attend pour elle et son bébé. La grande vit chez le papa mais peut être qu'elle pourra y aller, comme avant, quand sa maman habitait encore dans sa maison, avant de se faire cogner par son dernier mec.

Il y a les yeux brillants d'émotion de la maman, il y a les yeux de cet enfant qui me regarde comme si j'étais une princesse ou la Mère Noël. La gamine a 6 ans, elle y croit dur comme fer comme si elles y partaient demain parce que "je veux vivre avec maman tout le temps". Alors je lui explique que rien n'est sûr, qu'il faut attendre encore un peu, je lui sors ce discours d'adulte démesuré quand le reve des enfants nous saute à la gueule, démesuré mais à la hauteur de leur désir.

Elles sont toutes les trois face à moi et c'est mon instant de poésie  à la simplicité désarmante, un rêve d'enfant qui semblait s'incarner sous mes yeux mais que je tentais malgré moi de devoir freiner pour lui épargner des désillusions trop cruelles.

Je lui ai soufflé à l'oreille de croiser les doigts très forts, la maman était émue, moi tout pareil et l'on s'est quitté avant de se revoir pour préparer son rendez vous avant son hypothétique future maison.

Ca m'a émue quelques minutes à peine après avoir refermée la porte et constatée que les chocolats dorés dans un moment de joie, je ne les avais même pas proposés, les maintenant contre moi comme un trésor inutile et d'égoïste , peur de ne pas avoir assez ma dose dans un instant d'anxiété majeure. Et alors? Et de 2!

J'ai enquillé le reste de ma sainte journée, accueillant dans un mouvement de solidarité les angoisses et les états d'âmes d'une femme dont je ne sais que faire et qui sortait qu'un entretien psychiatrique, constatant que pour la énième fois, on lui avait dit n'importe quoi, d'un dispositif que l'on prétend connaître mais qu'on ignore, l'assurance de 35 ans d'expérience donnant le savoir en tout.

Doutant alors de la bonne santé psychique de la patiente pour de bonnes raisons psychiatriques, je m'en vais vérifier la véracité de ses propos que l'on me confirme, allégremment et avec un sourire, bien entendu. Face à si peu de connaissances et de naïveté, je retiens un sourire et mes arguments. Mais je sors un son inintelligibles malgré moi quand je vois trois grosses boules dorées, socle de ma pyramide, trônée sur le bureau en chêne clair, chipés discrètement quelques heures plus tôt.

Je montre au contrôleur des travaux finis que mon signalement est propre et prêt à être envoyer. Il s'excuse de corriger deux ou trois fautes d'orthographe, vérifie que ma susceptibilité ne sera pas atteinte, rajoute un mot ou deux et dit "c'est bien". Tant mieux, j'en ai un autre pour demain.

Et de 3 et de 4...! Je m'en vais le ceur lourd et l'estomac tassé par ce trop plein de chocolat et d'une journée mal digérée.

 

 

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25 décembre 2011 7 25 /12 /décembre /2011 20:58

J'ai le coffret dégustation à la maison, la déclinaison argent, doré et brun, j'ai la pyramide à mon bureau, du papier doré à foison, du chocolat praline sous toutes ses couleurs, du sucre jusqu'à l'écoeurement. C'est rond et douceâtre, ca brille, ca donne envie ou la nausée, c'est idéal pour consoler, caler une angoisse passagère, inciter à se lover dans un fauteuil et se faire des confidences.

Entre Noël et le jour de l'an, je vais me faire deux gosses et leurs mères, deux signalements coup sur coup que je rédigerais en vidant la pyramide et en la partageant pour que le chocolat chaleureux de cette boîte de fête facilite l'huile de foie de morue que je leur demanderais d'avaler en pinçant le nez. J'écouterais Amy Winehouse, ca m'aidera à relativiser sur la cruauté de certains destins et j'enquillerais l'organisation d'un début d' année 2012 qui se teintera d'une couleur plus fadasse que la fin 2011, de son champagne tiède du déjeûner de Noël et de son cadeau à moins de 5€ tiré au sort. Le prise compulsive de ces gros anti-dépresseurs ronds et dorés qu'on avale sans croquer et sans eau inspireront mes doigts sur le clavier, j'alignerais en mots sucrés le danger sous-jacent et qu'importe que ce soit une période de fêtes et de douleur pour les indigents. La culpabilité, je connais pas et je n'aurais pas de pensée émue pour elles le soir du 31, bien calé au chaud à faire des projets et à renouveler cette résolution vieille d'un an: culpabilité, valable de 9H à 20H 5 jours sur 7, hors périodes de vacances.

 

Mélangerais je les deux boîtes?  La pyramide suffira t elle à ces trois jours qui s'annoncent ou me résoudrais je à me concocter un grand plateau argenté, multiplier les saveurs et les kilos calories, faire une purge façon grand ambassadeur et me donner des airs de princesse quand finalement, je me sentirais si misérable dans ce rôle de simple sténographe ?

 Parce que pourquoi la faire à l'envers et laisser croire que nous sommes maître de ce que l'on nous faisons, que je suis au volant de la Machine, conductrice responsable et éclairée, sobre et prudente? L'ère de la collaboraion commence pour moi, simple technicienne qui applique, sait sans savoir, aligne les dossiers, écrit ce qu'on lui dicte et lui demande, une tape sur l'épaule, fait viser à son gradé supérieur, dit "oui chef" et participe aux drames, sans en être responsable ni coupable, c'est la faute à l'autre, c'est pas ma faute, je savais pas, je suivais les ordres, j'étais aveugle dans un monde de borgnes. Je ne questionne pas, je suis la procédure, noyée sous la praline et si j'ose un doute, je crêve d'overdose chocolatée et mes baskets, millésime 2012, ne suffiront plus à porter mes pas, embourbés dans le béton.

Ca élabore l'assistanat social, ca cogite sous des effluves de café et de clopes, ca remue des pinces avec des menottes invisibles, ca emmerde le monde et la hierarchie, ca swingue sur une piste de danse déserte en faisant croire que le rythme on l'a dans la peau, que la maitrise,on l'aura jusqu'au bout. Ah bon?

Moi je bouffe du chocolat, de la pyramide dorée au distributeur collectif, hors période de fêtes, ca  donne une contenance à tous ces faits historiques à échelle inviduelle, ca nourrit mon égo et mon aveuglement volontaire. C'est mon orgueil à moi, mon kit de survie, l'étouffement volontaire de ma conscience mais que répondrais je, dans quelques années, quand je devrais rendre des comptes, face à mes juges? Que je suis Madame l'Ambassadeur en baskets et que je vous emmerde en proclamant" Mais qu'est ce que ca peut bien me foutre?" Non, je n'oserais pas, je suis trop sage. "Que ce n'est pas moi, que j'ai fait simplement mon travail?" Facile mais oui certainement car je n'ai pas plus de courage que vous-même, d'agir sans prétention contre l'ordre établi. "Qu'elles n'avaient pas à faire de gosses"? Peut être mais j'oserais une nuance d'un cynisme à peine déguisé "Déglingos ou pas, ca n'empêche de réfléchir avant. Elles ont été bien naïves." Et qu'on ne me parle pas du désir maternel et autre frioritures de notre époque bien-pensante: un utérus et quelques mois ne donnent pas tous les droits, vous ne le saviez pas?

Avec quelques dizaines de pyramides de l'Ambassadeur restés sur mes hanches de femme vieillissante, je vous clamerais ma plaidoirie, pointant du doigt ces faiseurs de sucreries qui envahissaient mon quotidien alors, appauvrissant mon esprit critique, n'existant que pour me rendre docile en m'asservissant de leurs pouvoirs calmants. Ce sera le temps des Révélations où l'industrie agro-alimentaire sera le fossoyeur de mes maux et ceux de notre société. Gros, malades et dépendants, j'atteindrais votre compassion et vous libérerez ma conscience de mon irresponsabilité.

Et pour fêter mon non-lieu, je vous inviterais à la maison, j'ai des Ferreros rocher.

 

 

 

 

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10 décembre 2011 6 10 /12 /décembre /2011 01:20

Je porte des baskets et je t'emmerde. J'ai bien essayé les talons pour me donner des airs importants mais personne n'y croit, moi la première.  Dix ans plus tard, je  cultive mes années étudiantes, y'a que la couleur qui change. En même temps, voici mon coup de foudre pour le métier: les pieds mouillés dans mes Converses, je peux emmerder les conventions sociales du travail. Je suis assistante sociale, café/clopes, tiroir caisses, bonne fée, placeuse d'enfants, autant dire que les baskets je pourrais même les avoir trouées et sentir la précarité qu'on trouverait ca normal et consensuel, altruiste au possible, au plus proche de tous.

 

Pourtant, on a voulu me la faire à l'envers: 600 postulants pour 45 élus, la sélection donnait déjà à penser que je passais HEC ou Médecine, mon bac sortie d'une pochette surprise avec les prépas privées qui vous vendent du rêve à vous faire changer le monde pour un salaire de smicard. Moi je m'en foutais d'aider les autres mais j'avais des parents formidables: un père givré et new age, éduc au pinard et à la gitane, une mère qui flippait de mes rêves d'ailleurs. Fallait pas viser trop haut quand je ne songeais qu'à jouer à la comédienne ou taper dans le journalisme. Une formation pas trop longue ni trop exigeante c'était parfait pour moi.

 

45 sur 600 et t'en peux plus de croire que t'es l'élue. A ce niveau, tu regardes plus le prix et le labeur: change the world fera mon bonheur. Mais à écouter gratis toute la journée, tu draines ton salaire de 1500 par mois pour qu'on t'écoutes toutes les semaines, chez un psy qui temporise tes angoisses professionnelles.

 

AS, placeuse d'enfants? Tiroir caisse? Emmerdeuse de service? Incompétente? Aigrie? Bonne fée? déprimée et déprimante? Fourre-tout en pagaille? Bah oui et alors?

On pourrait se la faire: attends, je réfléchis là, j'élabore moi, du genre "si ca continue comme ça, ca va finir à l'HP" ou "ah ca non, on peut pas ça, on est dehors du cadre et de toute façon, on n'a pas les moyens".

Ca a pas l'air comme ça mais on réfléchit pour ne pas faire de l'assistanat: on n'a pas de moyens, on peut pas. Alors on écoute, on remplit des dossiers, on pose son cul en réunion et on pense... en s'enfilant un café tiedasse et transparent et en jouant des coudes avec ses collègues.

 

Même pour faire placer des gosses, c'est devenu compliqué. Y'a un tas de procédures, de trucs à écrire, c'est frustrant. Difficile de prendre son pied, on n'a plus la liberté  de bousiller ou de sauver des gosses. On nous a niqué la profession, on peut plus emmerder personne alors on déprime, à tourner en rond façon Devos sur son rond-point, tourner  à ne rien faire.

"Assistante sociale ou prof, c'est un truc de batard" ils disent tous "ça sert à rien, elle a rien pour moi, elle m'a laissé crever comme un chien" . Bah ouais. En même temps, j'aurais pu faire plus: le dénoncer pour deal et la boucle était bouclée, point barre, dossier suivant "Next"!

Nan j'ai préféré moisir 8 hrs par semaine en salle de réunion avec mes alter-égos pour savoir ce que je ne ferais pas la semaine suivante ou de "qui fait quoi, là maintenant?" et reprendre semaine après semaine la même question et la même non réponse: le sens giratoire sans sortie possible, l'estomac bourré de café et de gâteaux secs, pour la convivialité.

Parce que élite, on te dit pas que tu vas passer ton temps à bouffer des boites de speculos Leader price, à heures fixes en songeant que tes usagers, ils bouffent les mêmes en regardant les programmes de l'après-midi. Mais que Chut...surtout faut pas le dire, c'est trop réac', pas consensuel.

Assistante sociale, c'est un truc de crève la dalle que t'as plus faim que t'en demandes encore, une aventure de vampire que personne ne raconte. Le sang des autres, juste à plus soif, à l'overdose complète....malgré toi, tous les jours: "mon mari me suspend par les pieds", "Ma nounou me donnait jamais de pains au chocolat à moi, elle était pas gentille", " il a éclaté mes chats contre le mur", "laissez moi faire, je suis de la partie, je connais mon affaire"...waouh, viens chez moi, c'est la fête tous les jours! On rigole, on s'éclate, on ira même visiter un pigeonnier géant au 7ème étage, façon Hithcock, moquette de fiantes et de plumes, et si tu fais pas gaffe à l'odeur, on pourra même faire une free party. On s'en fout, elle paie plus son prêt immobilier, on pourra taguer les murs, les voisins ne diront rien, ils savent même que leur voisins sont à plumes et à bec, ils ont même pas senti l'odeur de mort.

On fera une nouba d'enfer: de l'autre côté de la voie ferrée, elle a une voisine d'enfer de 170Kg qui remue du popotin comme personne, en costumes de Noël, que t'imagines pas quand elle bouge qu'elle affole tous tes sens et des muscles que t'imaginais pas. Qu'avec tes 10kg en trop, tu pourras pas jouer la mijaurée avec tes complexes et que ton idéale de danseuse au corps sublime, tu l'enverras se faire foutre. On invitera toutes les autres, la déficiente mentale, la déficiente visuelle, les déprimées, leurs potos SDF et leur litrons, plus rieurs que le bourgeois d'Oberkampf, les psychotiques, les "jettées du ciboulot". Les bébés in utéro, extra utéros, tressauteront au rythme du Hip Hop, on ira chercher tous les autres, ceux des pouponnières et des familles d'accueil et on fera un barouf du tonnerre au 7ème étage, pour attendre le père Noël et dégager sur son traineau.

 

Et mes baskets pueront la vinasse et le pigeon mais je m'en fous parce qu'enfin, mon cul renaîtra de cette chaise qui me colle aux fesses et s'affolera à coups de picole, en envoyant valdinguer les speculos et le café tiède.

 

 

 

 

 

 

 

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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 23:07

Les lois de la physique et de la fusion se sont manifestées au 9ème parallèle et ont bouleversées la loi de la relativité.

Leur couple est d'or, leur situation de plomb et nous avions décidé de défier les statistiques les plus élementaires, les chiffres les plus accablants, les rapports d'enquêtes scociologiques les plus sombres et nous tranformer en physicien de l'impossible.

Elle a quitté le Mali en 2007, a traversé la moitié de l'Afrique, à pied et en bâteau, sans attaches, juste sa soeur qui l'attendait ici, pour démarrer une nouvelle vie. En 2009, la voilà malade pour sa vie entière, le rencontre, lui indifférent au virus qui la plombe. Ils se reconnaissent, s'apprivoisent, se donnent des rendez-vous amoureux malgré les deux heures de train qui les sépare, lui de son hôtel, elle de chez sa soeur.

Lui, il travaille 15Hrs par jour, se loge misérablement dans un hôtel insalubre, a bataillé avec son employeur pour obtenir sa carte de séjour, malien de l'ombre dans un travail d'esclave en carrière de sable, qui ne demande rien que d'être avec elle.

Mais leur désir est immense de s'aimer et de se confirmer: elle tombe enceinte, narguant silencieusement les lois de la biologie que lui impose ce virus.

Ils combattent la distance et la mesqinerie familiale, lui dormant 5hrs à peine, elle, faisant face à sa soeur et son beau-frère.

Elle accouche d'un petit garçon et devient brutalement sans domicile fixe le soir de la naissance. Son lit plié à la cave, elle est devenue indésirable chez sa soeur. La maternité prolonge le séjour en lui supprimant les repas. Les petites économies, ca  n'existent pas. Ironie du sort: elle est malade, son bébé sous traitement. Ils attérissent au 9ème parallèle et nous savons, au terme d'une semaine, que le plomb doit se transformer en or et la fusion s'opérer dans des délais records.

Il est soulagé de la savoir à l'abri, elle est apaisée de se sentir en sécurité, glissant dans les couloirs de ce pas aérien et nonchalant qui détermine tant l'Afrique. Elle est silencieuse, esquisse quelques sourires, nourrit son enfant, a le mot rare et pudique. Il vient tous les soirs après une journée harassante, cherche un logement sans succès, ne demande rien, juste une maison pour sa famille mais au moins une maison pour elle.

Entre eux et moi, les rencontres sont rares car dès la 1ère fois, l'essentiel est dit, exit les frioritures et les litanies de l'assistante sociale. Ils ont tout compris, expriment à demi-mot leur impuissance, sans larmes et avec bienveillance. Ils ne demandent rien et me donnent une furieuse envie de dézinguer les lois du système  que je porte en moi, inéxorablement et qui font fureur dehors, fusillant la vie de milliers de familles.

Je suis partie pour commencer un boulot qui s'annonce plein d'espoir et d'envie que déjà, on annonce une sortie définitive à venir: trop bien, elle est trop bien pour que l'on puisse la garder trop longtemps.

Je n'ai plus envie de dézinguer. J'ai envie de désintégrer, de scratcher le 9ème et ses lois arbitraires, de cogner cette réalité qui me donne la nausée et ne semble jamais s'arrêter.

Le défi devient titanesque, face à des délais plus courts que prévus. Epaulée par une secrétaire tout terrain, on joue la montre et on arrose toute la région: pour elle et le bébé, pour la famille. On tente tout: les CHRS, les appartements thérapeutiques, les résidences sociales...C'est décidé: ils ne nous baiseront pas, on les niquera avant. On prend des allures de justicières, on arrondit les angles ("Faut bien attendre les réponses, non?") et on attend.

Les lettres de refus tombent: 1,2,3,4,5...on s'y attendait, on regarde les jours passés.  On oublie notre héroïne, plus personne n'en parle, on se réjouit de ce silence et du temps qu'il nous donne.

Et elle, confiante par ce mouvement inespéré qu'elle attendait tant: bonnes ou mauvaises, des réponses sont des réponses car un jour, il y aura la bonne.

Mais déjà, quelque chose s'émousse en moi: le fol espoir m'a aveuglé. Je ne suis pas physicienne, je suis juste assistante sociale.

Et puis, la magie de deux corps qui se rencontrent par un coup de fil banal. Une association pour un appartement thérapeutique mère-enfant se manifeste, par la voix rauque et cassée d'une assistante sociale "Vieille école". Pas pour ma malienne du jour mais pour l'héroïne du "Temps de l'Amour", épisode vieux d'un an, qui s'est résolu dans un instant de grâce mais ailleurs, avec un autre appel miraculeux.

-"Il y a de la place."

Allons y, allons y, ils ont du recevoir ce dossier plus récent, celui qui me brule les doigts et l'esprit.

-"Non, pas du tout. ca me dit rien.

-"Ah bon? Attendez, on vérifie, on vous rappelle."

La frénésie reprend, je saute sur la secrétaire.

-"Il y est celui-là? Il est dans la liste???

-"Non, on s'est dit que c'était peine perdue parce qu'ils ont un seul appart".

-"Ok je rappelle. Je tente le coup."

Réponse affirmative.

"-Allez y on n'a pas de candidatures. Tout le monde pense comme vous.

-"Ok aujourd'hui, on vous apporte le dossier. Ce matin, c'est bon?."

-"Pas de soucis, on vous attend".

La frénésie explose. La secrétaire photocopie le dossier, je re-soigne le rapport social et la regarde partir, le coeur battant, notre oeuvre sous le bras, qui commencait à perdre de sa valeur.

Le lendemain, on rappelle. Dossier bien reçu, le medecin le regarde dans deux jours, on vous rappelle.

Deux jours et le week end, je tiens pas. Je rappelle, la voix posée et le coeur tressautant.

-"On en discute en réunion, je vous rappelle le lendemain."

Aujourd'hui, pas de nouvelles. 16H, je rappelle. Toujours cette voix rauque, aux accents parigots et chaleureux: elle me plait, j'en suis tombée amoureuse.

-"Je pensais à vous. J'ai tenté de vous joindre sans succès"

Bon, passons, passons..

-"Bon, on lui donne rendez vous dans deux jours mais juste une chose: c'est une demande pour le couple, non?

Ca y est, des réserves, mon estomac se noue, une autre bataille commence.

-"Heu oui et non. Il y a un projet de couple mais l'essentiel est que la mère et le bébé soient à l'abri. Ils sont conscients des difficultés pour être réunis à 3 alors on a tout fait, les structures femmes seules, les trucs familles.."

-"Parce que ca existe les appartements thérapeutiques pour couple."

Aie.

-"Oui je sais on a fait fait aussi mais vous savez, nous c'est deux mois la prise en charge et les délais d'attente sont de 6 mois à 1 an alors..."

Eclat de rire, rauque. Ca sent la cigarette, me dis je.

"Ah bah oui je sais bien, c'est terrible...Si je vous demande tout ça, c'est parce qu'on est prêt à prendre le couple avec le bébé, si la femme le désire...On fait pas ça d'habitude mais bon, vu la surface de l'appartement, c'est possible. C'est elle qui voit, elle nous dira ca au rendez-vous et on vous donne la réponse la semaine prochaine.

OUPS. Avec ce feu vert, soudainement j'accélère et j'exprime oralement ce que j'ai tenté de défendre à l'écrit. Je l'adore, on promet de se rencontrer bientôt, de se marier et de s'adorer. Clairement, on évoque une réunion sur cette situation, tout simplement.

Je raccroche. J'ai envie de pleurer, d'hurler mais c'est bloqué. Je vais voir ma consoeur mais je peux pas, ca sort pas. Je répète seulement, un sourire hilare "J'ai envie de pleurer, je peux pas te dire pourquoi mais j'ai envie de pleurer".

Je sors m'aérer. Je garde en moi mon trésor. J'ai peur qu'il redevienne plomb s'il sort de ma bouche. 30 minutes d'un silence douloureux et magique que je digère et savoure avant de l'exprimer autour de moi, avant de lui dire à elle, que sa famille en or a vaincu la réalité de plomb.

 

 

 

 

 

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